La vie nous fait parfois des beaux cadeaux, tu trouves-tu pas ? Le soleil brille, les oiseaux chantent. Et si je suis un peu lyrique ce matin (ce midi, ce soir, peu importe), c’est que je commence l’écriture de ce billet sur une terrasse au beau milieu (presque) de Dubrovnik, en sirotant une bonne petite eau pétillante citronnée, au son des criquets et des vagues qui tapotent gentiment (non) les rochers. Dubrovnik ? Pourquoi donc, t’interroges-tu ? Il se fait que je viens de passer une semaine au Center for Advanced Studies de l’Université de Zagreb (mais à Dubrovnik) (je t’ai dit que c’était à Dubrovnik ? Je suis pas sûre). J’ai assisté à la 10ème PhD Master Class du réseau UNICA, qui regroupe les universités des capitales d’Europe. Je vais donc, pour ton plus grand bonheur, t’en compter le rendu.

Cela fait en effet 10 ans que des professionnels du doctorat provenant de toute l’Europe, et même parfois d’ailleurs, se retrouvent dans ce lieu enchanteur pour discuter éducation doctorale, supervision des doctorats, écoles doctorales, transition « Master-doctorat », bref tout un tas de trucs sympas sur … (suspense) … le doctorat ! Et cette année, c’est la question du bien-être (wellbeing) qui a été abordée. Le postulat était le suivant : il faut trouver un équilibre concernant la responsabilité des institutions, des directeurs·trices et bien entendu des doctorant·es. Je vous propose donc, pour ce numéro spécial de « What-Sup voyage », de revenir, minute par minute, scène par scène, mot par mot, sur les stimulants échanges que nous avons eus au cours de la semaine ! Non je ris (j’adore l’humour), mais je vais vous raconter quand même.

Who is who ?

Nous étions une trentaine de représentant·es d’institutions universitaires : Zurich, Sorbonne, Matej Bel, VUB, ULB, Cardiff, Edimbourg, Turku, Bratislava, Glasgow, Zagreb, Lausanne, Turin, Lisbonne, Moscou, Barcelone et bien entendu, UCLouvain. L’association Eurodoc était aussi représentée, et nous avons également travaillé avec une dizaine de représentant·es d’universités ouzbèkes, dans le cadre du projet UZDOC 2.0, qui vise à améliorer la qualité de l’éducation doctorale en Ouzbékistan. Envie d’en savoir plus et de googler tous·tes les participant·es? Fais-toi plaisir en cliquant ici.

Du beau monde donc ! Et comme toujours pour ce genre d’événements, tout a commencé par un icebreaking, que j’ai malheureusement loupé parce que mon avion avait un peu de retard. Mais quand j’ai vu qu’il avait fallu dessiner les gens, je me suis dit que c’était peut-être pas plus mal.

J’ai beaucoup de talents. Le dessin n’est pas l’un de ces talents.

Pour commencer sur de bonnes bases et mieux connaître le pays qui nous accueillait, la première soirée était consacrée à la projection d’un film croate, Ustav Republike Hrvatske (« The Constitution »), en présence de son réalisateur, Rajko Grlić. C’était en croate, donc pas question de détourner l’écran du regard, la concentration était maximale. Touchant et instructif, le film aura également eu le mérite de nourrir les discussions du lendemain matin au petit-déjeuner. Et ça, crois-moi, quand comme moi tu ne connais personne, c’est pas du luxe.

Je reviens donc dans ce petit article sur 3 choses qu’on a tenté de faire durant cette semaine : primo, comprendre le phénomène et les problèmes liés au bien-être durant la thèse (qui? quoi? quand? pourquoi? thé ou café?), tertio voir comment on peut agir pour limiter les dégâts, mais aussi segundo, veiller à sérieusement profiter un peu du cadre (ça veut dire : manger et bronzer) (quand même) (oui je sais j’ai pas compté dans le bon ordre) (j’ai pas fait une thèse en math OKAY).

Comprendre

La première journée a essentiellement permis de poser les bases pour qu’on se mette d’accord sur ce dont on allait parler durant les prochains jours. Cela a été réalisé magistralement par Jacques Lanarès (Université de Lausanne), Melita Kovacevic (Université de Zagreb), Kenneth Wann (Cardiff), et Jan Den Haese (VUB) qui ont mis en évidence l’intérêt d’une telle thématique. Plus de la moitié des candidat·es au doctorat souffrent de stress important et d’anxiété : cette statistique (qui varie selon les pays ou les conditions de travail) suffit à elle seule à expliquer les raisons pour s’intéresser de plus près à la thématique du bien-être et de la santé mentale dans le cadre du doctorat.

Mais dans le fond, de quoi on parle ? Quel est le lien entre bien-être et doctorat ? Doit-on d’ailleurs parler de bien-être ou de santé mentale ? En effet, alors que l’usage des termes « santé mentale » fait directement penser à des troubles graves, l’usage du mot « bien-être » peut laisser penser qu’on cherche à chouchouter les doctorant·es en leur préparant des jus détox en faisant de la pleine conscience, en dansant autour de pierres qui éloignent les mauvais chakras. Alors qu’en fait, il s’agit « juste » de fournir, au sein du monde académique, un équilibre entre le travail et la vie privée, des perspectives professionnelles, un environnement de travail stimulant et enrichissant. C’est simple non ? (Non).

Si l’intérêt pour la thématique est récent, c’est notamment parce que les préoccupations ont évolué : alors que la priorité était précédemment donnée au fait de terminer la thèse (« completion rate », quelle qu’en soit la durée), à présent, en raison des nombreuses pressions, la question du bien-être et de la santé mentale devient petit à petit (bien qu’inégalement) un trending topic dans le monde académique. Cela peut se mesurer par le nombre de doctorant·es qui viennent, en individuel ou en groupe, parler de leurs problèmes, de leur stress, de leurs angoisses et éventuellement de leurs différends avec leur encadrant·e. On parle alors de risques psychosociaux, qui sont généralement liés : aux conditions (environnement), à l’organisation (gestion), au contenu (tâches), aux modalités de travail (horaires) et aux relations internes.

Appréhender le bien-être durant la thèse revient aussi à comprendre un point essentiel, qui était véritablement le fil rouge des discussions de cette Master Class : il s’agit d’un travail d’équipe. On ne peut penser et comprendre le bien-être et les problèmes de santé mentale chez les doctorant·es sans se soucier des encadrant·es. Envisager qu’un doctorat puisse bien se passer quand l’encadrant·e est lui-même ou elle-même soumis·e à beaucoup de pression et de stress est particulièrement compliqué. Il devient alors nécessaire d’agir sur différents niveaux.

Et justement, pour savoir à quel niveau agir et mettre en place des actions efficaces, efficientes et effectives, il faut avoir des données. Trois collègues sont donc venus présenter les résultats de différentes enquêtes menées en Europe, sur la satisfaction des doctorant·es (VUB), l’abandon et la persévérance du doctorat (projet ROPE, ULB & UCLouvain) et diverses enquêtes menées ou co-menées autour du doctorat par Eurodoc. Voici en vrac et sans concession les diverses observations issues de ces enquêtes : les doctorant·es subissent beaucoup de stress, de pression, d’incertitude, d’insécurité, de frustration, d’échecs mais aussi d’indifférence. L’instabilité est financière (« je dois me financer pour finir ma thèse ») mais aussi professionnelle (« et après, je fais quoi ? »), géographique (« je vais où pour mon post-doc ? ») et relative à la valeur même du doctorat (« ça vaut peanuts »). Toutes ces raisons, en plus de facteurs tels que le statut matrimonial, la source de financement, le domaine d’études, mènent parfois les doctorant·es à abandonner leur projet de thèse.

Parce que les conséquences sont nombreuses tant sur les plans personnel que professionnel, le bien-être et la santé mentale des doctorant·es ne sont donc pas à prendre à la légère. Il est impératif d’identifier ce qui pose problème pour savoir vers qui se tourner : comprendre pour mieux agir.

Profiter

Bon… Après tout, c’était une master class sur le bien-être, et j’ai déjà entendu quelque part qu’il n’y avait pas de mal à se faire du bien. Et comme on était aussi là pour se rencontrer, on a grave networké pendant les périodes « off » de la master class. Cela a notamment été possible durant la petite excursion concoctée par UNICA où nous avons pu déguster des huitres locales en bateau, découvrir la rivière Neretva, gouter de l’anguille et danser sur de la musique ouzbèke. Bref, très peu vegan mais hautement convivial.

Autre chose, et qui est un élément essentiel, voire carrément indispensable : chaque matin, à Dubrovnik, on nage. Le rendez-vous est fixé à 7h, tous les jours. Les yeux généralement encore un peu gonflés, les traces de drap qui creusent encore les joues, on se retrouve en face du bâtiment pour rejoindre la plage la plus proche et plonger dans la mer Adriatique. Ça rafraichit le corps, l’esprit et ça donne franchement soif parce que l’eau est vraiment très très (très) salée. Bref, une réelle association de l’utile et de l’agréable.

Créer des contacts est essentiel, cela permet de comparer les (bonnes) pratiques, d’en discuter, de diversifier les approches et de comprendre qu’on est nombreux·ses à être confronté·es aux mêmes problèmes. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est parfois dans les périodes qui ne sont pas dédiées au travail qu’on arrive à nouer le plus de contacts durables.

Agir

On n’a pas non plus fait que manger des mollusques vivants et barboter dans l’Adriatique. On a aussi bossé et réfléchi à différentes façons de mettre en application ce dont on discutait et qui a été présenté ci-dessus.  Il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer le bien-être et pour éviter d’arriver à des situations extrêmes. On ne compte plus les articles qui préconisent de manger 5 fruits et légumes et de faire du yoga pour lutter contre le stress. Mais il y a d’autres choses plus spécifiques à mettre en place dans le cadre du doctorat !

Je reviens ici uniquement sur 5 pistes essentielles dégagées lors de nos baignades discussions :

  • « Raise awareness ». Clairement les mots-clés de cette masterclass ! Il faut sensibiliser, montrer que les problèmes existent, mais aussi des solutions, et pour ça, il faut en parler, faire des enquêtes, partager les résultats, et agir en conséquence. Il s’agit de sensibiliser sans toutefois effrayer : les autorités académiques, les encadrant·es, et les doctorant·es sont concernés et n’agissent pas tous à la même échelle ! En bref, communiquer de façon transparente mais responsable.
  • En lien avec ce point, s’il faut sensibiliser à la question, il faut aussi mettre en avant les actions mises en place dans les universités: indiquer aux doctorant·es ET aux encadrant·es vers qui se tourner en cas de pépin, leur donner une adresse mail, un téléphone, une personne de contact à joindre. Il faut du concret et ne pas rendre la démarche de demande d’aide pénible et compliquée !
  • Parmi les sources de stress chez les doctorant·es, l’incertitude quant à leur avenir. Une piste ici serait donc de proposer un meilleur accompagnement pour l’insertion socio-professionnelle : bilan de compétences, plan de développement professionnel, accompagnement CV, rencontres avec des docteur·es actif·es dans certains secteurs, etc.
  • Le sentiment d’imposture est à la fois une cause et une conséquence du stress constant ressenti par les doctorant·es. Pour lutter contre cette crasse, chacun peut agir : reconnaître et valoriser le travail fourni est une première étape, ne pas faire de différence entre les doctorant·es en fonction de leur statut ou leur financement, sont des exemples. Par ailleurs, avoir une vue d’ensemble et une meilleure connaissance de son pool de compétences est à cet égard un exercice essentiel : développer, connaître et mobiliser ses compétences transférables, dès le début du parcours, est une piste intéressante.
  • Evidemment tout cela n’est possible qu’avec des moyens financiers pour pouvoir bénéficier de moyens humains ! Un meilleur accompagnement passe aussi par le recrutement d’un personnel motivé, engagé et formé.

Et vous, quels sont vos conseils pour améliorer le bien-être des doctorant·es et lutter contre les problèmes de santé mentale ?
Bien-être et doctorat font-ils bon ménage ? Les professionnels du doctorat vous disent tout !
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3 avis sur « Bien-être et doctorat font-ils bon ménage ? Les professionnels du doctorat vous disent tout ! »

  • 17 septembre 2019 à 11 h 23 min
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    Bonjour,

    Pour ma part, en lisant cet article, j’ai pensé aux efforts fournis par Emilie Doré, une accompagnatrice et coachs pour doctorants.
    C’est peut-être ce type de personnes, avec ses conseils et formations, qui manquent aux doctorants.

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    • 17 septembre 2019 à 11 h 24 min
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      Son site web est reussirsathese.com

      Répondre
      • 17 septembre 2019 à 15 h 29 min
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        Tout à fait! Merci pour le lien !

        Répondre

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