J’ai une amie qui s’appelle Stepfanie. Pas Stéphanie, Stepfanie. Avec un P, et avec un F. Stepfanie. Du coup, elle passe son temps à expliquer que non, c’est pas une faute, que c’est voulu, et à donc devoir expliquer l’origine de son prénom, comment elle le vit au quotidien, si c’est pas un peu pénible, mais que, oh, c’est si original. Devoir expliquer le titre de sa thèse, c’est un peu comme devoir expliquer un prénom chelou : ça prend du temps, c’est un peu fastidieux, mais tu y mets du cœur pour que les gens comprennent même si demain tout le monde aura tout oublié. Cette semaine, What-Sup s’intéresse donc à 5 astuces pour bien choisir le titre de ta thèse et faire sensation dans les dîners mondains et les dîners de famille, ou les deux en même temps pour les plus cossus d’entre vous.

Le titre doit être bien long pour montrer que t’es pas la moitié d’un trou de balle

Y a un truc que j’adorais quand j’étais en thèse et que j’ai pratiqué pendant des années (non je mens je le fais encore maintenant), c’est le petit soupir réflexif (oui j’invente des choses) juste avant de dire mon titre de thèse. Pendant ce soupir hautement calculé, j’hésitais : « est-ce que je dis le titre de façon brute, sans censure et sans coupure, ou est-ce que je le simplifie un peu en disant que c’est compliqué ? ». J’adore, ça met tout le monde mal à l’aise.

Il n’empêche qu’objectivement, un titre long est presque toujours nécessaire dans le cadre d’une thèse. Pourqué ? Pourqué tu es censé.e travailler sur un sujet original, inédit et tout beau tout neuf. Si ton titre se limite à « l’inceste au Moyen Âge », laisse moi te dire qu’il y a un rognon dans le pâté et qu’il y a erreur sur la marchandise. Les thèses ne sont plus l’œuvre d’une vie, on n’attend donc plus les sujets fleuve où tout est abordé en long en travers, en 3D et en technicolor. L’idée est de défricher un sujet et/ou le voir sous un nouvel angle, et ça doit se refléter dans le titre. Il y a une claire différence entre « ‘Ne pas grever l’avenir au bénéfice du présent’. Une histoire environnementale de l’extraction du charbon de la fin du 18ème siècle à l’Entre-deux-guerres : un développement non soutenable. L’exemple du Couchant de Mons et du Valenciennois » (oui oui c’est un vrai titre : thèse de @KevinTroch85) et « Cueillir des cailloux naguère ». En gros si les titres sont le plus souvent assez longs, ce n’est pas uniquement pour impressionner la galerie, mais aussi pour que tous les éléments soient présents afin de bien illustrer l’originalité de ton sujet. Le titre long garantit en effet la présence de tous les éléments nécessaires pour la bonne compréhension de ce qu’un lecteur a dans les mains : sujet, angle d’approche, dates, éléments de méthodologie, espace étudié, etc.

Le titre doit être facilement vulgarisable, et je parle pas ici de gros mots

Un jour un grand savant qui avait toujours un peu soif a dit que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Et comme en règle générale, tu conçois bien ta thèse, tu dois pouvoir l’énoncer clairement. En gros ton titre doit pouvoir être traduit dans la langue du profane en simultané. Démonstration : le titre de ma thèse était « Sexe, normes et transgressions. Contrôler les pratiques matrimoniales et sexuelles à l’époque carolingienne (740-840) » (pause pour air impressionné) : « en gros je travaille la façon dont on interdisait certaines pratiques sexuelles au haut Moyen Âge » (œil vif et intérêt certain de l’interlocuteur.trice). Autre démonstration débusquée sur le réseau à l’oiseau bleu : le titre « Les vues d’optique, une production européenne d’estampes demi-fines, 1740-1830 » peut être résumé brutalement mais si efficacement en «C’est plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur » (thèse de @peccadille). C’est un peu « Ma thèse en 180 nano secondes », et même si je n’ai aucune idée de ce que représentent 180 nano secondes, tu vois un peu ce que je veux dire.

En réalité ici, c’est vrai qu’on sort un peu du registre du titre en tant que tel puisqu’il s’agit là de pouvoir expliquer rapidement et clairement sur quoi porte ton sujet. Cela reste néanmoins important parce que souvent, les gens veulent avoir l’intitulé exact de ta thèse et le fait qu’il y ait beaucoup d’informations dedans (voir point précédent) ne permet pas toujours d’avoir une idée claire et met un peu tout le monde en mode Kamoulox. Il est donc important d’avoir une version bis du titre, à alterner avec la version 1 – longue et fastidieuse – en fonction de ton état et de ton envie ou non de parler de ta thèse.

Le titre doit être un peu catchy, comme une chanson de Taylor Swift

Alors là si comme moi tu as la chance de travailler sur un sujet complètement bankable, c’est easy peasy pour attirer l’attention, et la retenir. J’ai en effet pris le parti de commencer mon titre par un mot qui te donne tout de suite envie de lire la suite (enfin je trouve quoi) (ce n’est que mon humble mais éclairé avis) : « Sexe ». BAM. Bon après tu comprends que je vais plutôt causer de textes législatifs en latin au 8ème siècle et moins de Youporn, MAIS quand même, l’effet est là, et l’audience, conquise. En vrai j’ai choisi de proposer un titre à la « Cash investigation », type « Sexe, drogues et mafia. L’Italie face à ses années les plus noires », ou encore « Livres, alcool et dictature. Le visage caché de la Flandre des années 50 ». Il est aussi possible d’imaginer la variante « citation + explication », comme « ‘La chair est triste hélas’ : écrire, filmer, penser le corps dysphorique », qui se base sur une connaissance préalable minimale du sujet par les lecteurs et lectrices.

Je trouve très franchement que ça envoie du lourd comme formulation. En allant du général au particulier, ce sont des titres qui permettent d’avoir une idée claire et assez directe des thématiques abordées ainsi que de l’angle choisi dans le travail doctoral tel que présenté. D’ailleurs, pour avoir mené ma petite enquête et récolté près de trente sujets de thèse différents sur Twitter, j’ai remarqué que la grande majorité des titres est construite et structurée comme cela : « L’écriture du monde. Dynamique, perception, catégorisation du mundus au Moyen Âge (VIIe-XIIIe siècle) » (@N_Perreaux), « Commerce avec Dame Pauvreté. Structures et fonctions des couvents mendiants à Liège, 13-14ème siècles » (@medieviz) ou encore « Dragons à vapeur : vers une poétique de la fantasy néo-victorienne contemporaine » (@carolineDuvezin).

L’articulation entre un titre et un sous-titre est ainsi commode puisqu’elle permet d’annoncer la couleur, puis en dessiner les nuances.

Le titre doit pouvoir être prononcé avec un ton mi-Beyoncé, mi-humble

Vu que ça ne risque pas de te garantir un poste académique (oups), il faut bien que la thèse te serve à quelque chose. Et l’une de ces choses, c’est pouvoir un peu se la péter de temps en temps. Alors franchement sens-toi libre de prendre un air un peu pédant quand tu cites le titre de ta thèse. L’air de rien, tu es la seule personne – si tout va bien – à aborder ce sujet, avec cet angle particulier : et même si ta tête est déjà originale, dis-toi que ton sujet est original au sens premier du terme. Il y a de quoi être fière ou fier de mentionner sa thèse, c’est lui rendre justice, d’une certaine façon. C’est un peu comme quand un parent parle des premiers pas de son enfant : tu écoutes, tu vois la fierté dans son regard, tu te dis « ça va c’est pas si compliqué » mais tu le félicites quand même « oh dis mais c’est supeeeeer, dis-moi en plus ! ». Pareil.

Certains titres sont par ailleurs dans l’air du temps et sonnent malin : “la fabrique de blablabla”, “Blablabla est-il un sport de combat?” ou encore “Blablabla : bilan et perspectives”. C’était sympa et percutant les 27 premières fois, après on s’est un peu lassé, faut avouer.

L’idéal pour avoir l’air smart évidemment c’est d’avoir un titre dans une autre langue et/ou (c’est totalement cumulable) y incorporer des mots très compliqués, et/ou (c’est toujours cumulable) inventés. Le must du must, c’est la locution latine, grande spécialité des historiens et des juristes

Le titre peut être drôle et plein d’esprit, comme toi

En fait très franchement j’aurais dû commencer par ça. Tu sais que j’adore l’humour, j’adore ça. Du coup quoi de mieux qu’un titre bien fendard ? Moi j’avoue que j’ai pas tenté le jeu de mot dans le titre, mais j’ai craqué le « sexe et norme » en conclusion (j’étais un peu obligée), et le « Cinquante nuances de fornications » (ainsi que, mon petit préféré, « Merci pour ce moment » : chapitre sur la dissolution des unions). Je parle ici de titres volontairement drôles, et non drôles parce que tu ne comprends pas un traitre mot, comme par exemple « Implication des récepteurs 5-HT2A dans la modulation des interneurones PKC gamma dans un contexte d’allodynie » (thèse renseignée ici) ou encore « Étude du séchage convectif de boue de station d’épuration – suivi de la texture par microtomographie à rayons X » (au début tu penses que tu vas comprendre… et puis non : thèse de @Angel_ULiège)

Évidemment personne ne te demande de commencer ta thèse par une devinette de Toto, mais un petit jeu de mot subtile n’a jamais tué personne. Je pense notamment à la thèse d’un ancien collègue médiéviste (@QVerreycken) qui a travaillé sur la pratique de la grâce au Moyen Âge et qui a osé le « l’État de grâce » (tu l’as ?) (titre complet : « L’État de grâce. Guerre et usage du pardon en Angleterre, France et anciens Pays-Bas au XVe siècle »). J’ai beaucoup aimé. Sinon il y a aussi toujours la possibilité évoquée plus haut d’avoir une version bis du titre, comme Ingrid qui a un titre totalement académique (« Portraits de dévots, pratiques religieuses et expérience spirituelle dans la peinture des anciens Pays-Bas (1400-1500) ») et la version bis, hautement plus fun «Portraits de dévots et misère spirituelle dans la Hollande profonde avant l’apparition des premiers coffee-shops » (@ingfalque

Par contre, tout le monde n’apprécie pas l’humour dans le milieu académique, parce qu’il y a un temps pour tout. C’est pour ça que je dis que le titre « peut » être drôle (le vois-tu comme je manie bien la langue de Matt Pokora ?). Le monde de la recherche reste un monde où le choix des mots compte, où il est pété, répété que rien ne doit être laissé au hasard et que la forme prend une place importante. Certains trouvent inutile voire dérangeant de proposer des titres rigolos, comme ce carnetier : « Je n’aime pas les titres rigolos, poétiques ou mystérieux. C’est sans doute triste à dire, mais ces effets de manche me laissent indifférent, quand ils ne m’agacent pas tout simplement. Un titre amusant, c’est souvent un titre qui ne dit pas grand-chose du contenu du chapitre ou de l’article qu’il intitule. […] ce titre qui est censé interpeller le lecteur et retenir son attention ne lui rend en fait pas du tout service. Sous prétexte de briller, il obscurcit ». Il est donc important de connaître son audience et de savoir à qui on s’adresse et dans quelles circonstances.

En résumé : un titre complet, précis, catchy, potentiellement rigolol si ça te semble permis #poésie.

« Ah ça a l’air … intéressant ». Concocter un titre de thèse percutant en 5 étapes
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