Elena Cornaro Piscopia – Docteure who?

Aujourd’hui, on ne compte plus les études visant à problématiser et expliquer l’évaporation des femmes au fil de la carrière scientifique. En 2016 encore, le FNRS constatait que la proportion des femmes demandant un financement diminuait avec le niveau du mandat convoité. Alors, pour voir le verre à moitié plein (et le boire pour oublier tout ça), cette semaine, une femme est mise à l’honneur, et pas n’importe qui : Elena Cornaro Piscopia.

Et maintenant on va être honnêtes deux minutes et avouer que c’est un nom totalement inconnu au bataillon. Pourtant, le parcours de cette italienne est atypique à plus d’un égard : il s’agit de la première docteure en Philosophie, et plus largement la première femme titulaire d’un diplôme universitaire. Et c’était il y a 340 ans ! Champagne ! La prima donna laureata nel mondo : rien que ça. Et à l’heure où le plafond de verre (ou de fer) est une véritable problématique dans le domaine de l’enseignement supérieur, il fait bon de se pencher sur une femme qui a fait la différence.

 

Oui mais c’était qui ? Il faut bien commencer par dire qu’Elena n’est pas née dans la famille la plus malheureuse d’Italie, ce qui lui a permis de bénéficier d’une éducation prometteuse. La famille Cornaro était une très importante famille vénitienne, non seulement parce qu’elle avait les pèpètes (disons-le franchement), mais aussi parce qu’il existait, au sein la famille, une véritable tradition de soutien des arts et des lettres. Ah, et accessoirement… le papa Cornaro a légèrement fauté en déposant la petite graine en dehors du nid, si tu vois ce que je veux dire #winkwink. Eh oui ! Elena est en fait un enfant illégitime, mais heureusement, grâce aux pèpètes évoquées supra, papa a pu acheter la légitimité de ses enfants et faire oublier tout ça #truestory. Pour compenser son comportement peccamineux, papa a un peu mis la pression à Elena afin que l’honneur de la famille ne passe pas totalement à la trappe à cause de cette sombre histoire de fesses. C’est alors que papa a mis le paquet pour offrir à Elena une éducation en béton armé avec les meilleurs précepteurs : latin, grec, maths, sciences, philo, et puis un peu d’hébreu pour être sûr.

Oui mais c’était quand ? Je l’ai déjà dit, mais comme tu m’as l’air sympa, je récapépète : c’était il y a 340 ans ! Soit en 1678. Une époque des plus sympathiques où les femmes n’étaient pas tellement les bienvenues à l’Université. Mais ça, c’est loin d’être nouveau : en effet, dès l’apparition des premières universités au tournant des 11ème et 12ème siècles, seuls les hommes étaient concernés : droit, théologie, médecine étaient des disciplines de bonshommes, et certainement pas une histoire de bonnes femmes. La proximité des universités et du pouvoir pontifical au début de l’histoire des universités explique aussi beaucoup de choses de ce côté-là. Le savoir et la science étaient avant tout une histoire de moustachus, les femmes n’intégrant les universités que progressivement à partir du 19ème siècle. Il a donc fallu attendre quasiment 600 ans après la création des premières universités en Europe pour attribuer un diplôme à une femme, et presque 800 ans pour que les femmes puissent s’asseoir sur les bancs de ces établissements prestigieux.

Oui mais c’était comment ? Elena n’a donc pas à proprement parlé été à l’école, ni à l’Université. Tous les cours énoncés plus haut ont été dispensés à domicile, un petit home-schooling avant l’heure en somme. Elle n’a donc pas consacré plusieurs années de sa vie à la rédaction d’une thèse qu’elle aurait défendue devant une brochette de savants pour ensuite profiter d’un bon petit pot de thèse (et c’est surtout ça qui est dommage). En réalité, l’obtention du titre de docteur lui a été accordée parce qu’elle avait accumulé autant – voire plus – de connaissances en philosophie et en théologie…qu’un homme ! Attribuer le titre de docteure en théologie à une femme étant néanmoins impensable pour l’Église, Elena n’a obtenu « que » le titre de Docteure en Philosophie, à l’âge de 32 ans et à l’issue d’une sorte d’examen oral qui portait sur des textes aristotéliciens. Les haters diront que papa a été mettre son grain de sel blé pour que tout ça soit possible, si tu vois ce que je veux dire. Toujours est-il que mission accomplished : l’honneur de la famille Cornaro est désormais sauf ! Alors, PhD is the new sexy, OR WHAT ?!

Oui mais … on s’en fout ? Eh bien non, Jean-Jacques, on s’en fout pas. Non seulement parce que ça va te faire une anecdote historique des plus croustillantes à raconter le soir de Noël, mais aussi parce que, pour les chercheurs (et surtout les chercheuses des années 1970), ce fait marque un tournant : « it’s a new history for women ! ». Elena a été érigée par de nombreuses féministes comme une véritable figure de ce que les femmes étaient capables de faire. En effet, ce qu’on retient de cette histoire, et qui ne manque pas d’être un peu tristou, c’est qu’à Padoue, à la fin du 17ème siècle, des hommes ont reconnu le statut d’intellectuelle à une femme sur base des connaissances que celle-ci a accumulées tout au long de sa vie et qui ont été reconnues comme valables parce que cela équivalait à ce qu’un homme pouvait faire et savoir. Mais comme il était avant tout question de voir le verre à moitié plein avant de l’affoner, retenons ceci : #yeswecan.

Fun fact :

J’ai inséré dans ce billet 3 concepts bien intellos que tu pourras utiliser le soir de Noël pour faire mouche, sauras-tu les retrouver ? Et qui dit encore « faire mouche » ?

 

Ressources :

Fonds National de la Recherche Scientifique (F.S.R. – FNRS), Rapport sur l’état de l’égalité de genre, 2016 (disponible sur leur site internet).

Bernard Fusulier, « Faire une carrière scientifique aujourd’hui. Quelques clés de lecture et critiques », dans Edwin Zaccaï et al., L’évaluation de la recherche en question(s), Académie Royale de Belgique, Bruxelles, 2016, pp. 102-110 (Mémoire de la classe des sciences, 2113).

Francesco L. Maschietto, Elena Lucrezia Cornaro Piscopria (1646-1684) : The First Woman in the World to Earn a University Degree, Saint-Joseph University Press, Philadelphia, 2007 (trad. anglaise).

Jacques Verger, Les universités au Moyen Âge, Presses Universitaires de France, Paris, 2013 (Quadrige).

Docteure who?
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Un avis sur « Docteure who? »

  • 5 novembre 2018 à 14 h 06 min
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    Rho, tout ce qu’on peut faire avec les bons gènes d’une maman et les sous d’un papa hi hi

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