« Fight the Enemy» : connaître et lutter contre le “Syndrome” de l’Imposteur

Te voilà muni·e d’un sujet de thèse passionnant, d’un directeur ou d’une promotrice (ou les deux) qui te convient farpaitement et de ta motivation la plus profonde à mener à bien ce projet, quand tout à coup, tu tombes sur le monstre le plus répandu et malicieux du Royaume de la Thèse : le Syndrome de l’Imposteur (#musiqueanxiogène). Oh, il sévit dans d’autres milieux que la recherche bien entendu, mais il faut bien reconnaître que le Royaume de la Thèse est un éco-système plus que propice pour son développement, et que les victimes y sont légion. Cette semaine, What-Sup te présente donc ce phénomène hautement désagréable dans le but de tenter de trouver comment lui faire un uppercut frontal par derrière et le ramener en mode trophée de chasse dans ton salon.

Oui parce que le syndrome de l’imposteur est vraiment une sale bête. Ah ça, pour te miner le moral et t’ouvrir la porte de la procrastination, làààà, y a du monde, il est là, y a pas de souci. Enfin, je dis « syndrome » pour faire un peu #putaclic, mais le terme est vieillissant, révolu, désuet, dépassé, voire totalement archaïque : « sentiment » ou « complexe » sont à présent privilégiés pour en retirer la dimension pathologisante et arrêter d’en faire quelque chose d’exceptionnel alors que c’est totalement normal. Il existe bien entendu des variantes suivant les milieux, les disciplines, les personnes, mais l’idée de base est toujours la même : cette idée persistante que tu n’es pas à ta place, qu’il y a plein de gens beaucoup plus qualifiés et doués que toi pour effectuer la tâche que tu es en train de réaliser. Souvent, tu as alors l’impression de ne pas mériter ta place, que tes raisonnements ne sont pas assez bons, ni assez structurés, ni assez bien écrits, ni assez bien formulés, ni assez assaisonnés, salés ou sucrés, et tu te demandes quand est-ce que les gens qui t’entourent vont s’en rendre compte, te démasquer et te lyncher sur la place publique. Pour le dire platement et de façon totalement et volontairement excessive, tu as un peu l’impression que ton QI est égal à celui d’un chicon et que la somme de tes compétences équivaut à l’intérêt que je porte à la querelle des Hallyday. Pour le dire en plus platement, tu t’auto-pourris la vie, comme le souligne poétiquement Sophie Riche dans sa vidéo sur le sujet.

Sauf que généralement, tout ne se passe que dans ta tête. Heureusement (non mais HEUREUSEMENT), sauf cas clinique plus profond, il s’agit d’un sentiment qui est temporaire et passager, qui ne fait son apparition que de temps en temps (ou l’art de dire 3x la même chose): quand tu obtiens un financement, quand tu donnes une conférences, quand tu soutiens ta thèse, quand tu obtiens un poste, ou encore parfois bêtement quand on te dit “c’est bien”. 
Le tout se manifeste généralement à base de quelques phrases-clé bien plombantes :

« J’ai eu de la chance »

Parfois, ça commence par un petite pique, pas méchante, généralement appartenant à la famille des “oh ça va c’est pour rire”, mais qui marque. Comme le pernicieux « ah la prof était de bonne humeur alors, t’as eu de la chance » quand tu sors d’un oral et que t’as eu un 18/20 (ça marche aussi avec la version #metoo où certaines personnes attribuent ta réussite à la longueur de ta jupe ou de ton décolleté. Mais bon “ça va c’est de l’humour”).

Le sentiment d’imposture, dans le fond, c’est une constante remise en question liée à un manque profond de confiance en ses capacités. S’il est assez fréquent chez les universitaires, c’est que plus on apprend, plus on prend conscience de tout ce qu’on ne sait pas et de ce qu’on ne maitrise pas. Et ça, ça fait mal. Alors qu’en fait, ce qu’il faut bien se dire, c’est que les professeurs, les examinateurs, les correcteurs et autres trucs en –eurs, ne sont pas là pour te faire plaisir. Ils vont pas te filer un poste, une bonne note ou un financement pour faire joli et parce qu’ils veulent que tu passes une bonne journée. On a ce qu’on mérite, et pis c’est tout.

« Je ne suis pas à ma place »

L’illégitimité est sans doute le mot clé de ce sentiment d’imposture. Le pseudo-imposteur se nourrit régulièrement d’idées tronquées sur la place qu’il est censé – ou pas – occuper d’un point de vue professionnel. Par exemple, je connais assez bien quelqu’un qui a pris beaucoup de temps avant de se décider à lancer un blog sur le doctorat. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est plus dans le milieu depuis plus d’un an, que ça ne va intéresser personne, que ça risque de pas toujours être très drôle, qu’il existe déjà d’autres blogs bien mieux, etc. Tu vois le genre. 

En cas de doutes de ce type-là, la réaction première est généralement l’évitement, la fuite : « ne pas faire » est souvent le meilleur moyen de ne pas se confronter à son imposture, et de ne pas laisser l’occasion aux autres de la découvrir. Dans le cas de la thèse, ça peut se traduire par un refus de produire du contenu ou en tout cas d’éviter de diffuser sa production. Au-delà de l’évitement, il y a également la possibilité de la compensation. Dans ce cas, « en faire trop » devient ton quotidien, tu fais le mec ou la meuf en super-confiance, tu ne laisses absolument pas planer le moindre doute sur ta maitrise du sujet et tu laisses tout le monde coi (quoi ?) devant tant de connaissances. Dans l’un de ses ouvrages, Kévin Chassangre, docteur en psychologie et spécialiste du sujet, met en avant le fait que la personne victime de ce complexe de l’imposture a parfois l’impression de se donner en spectacle, de faire semblant de maitriser un sujet, pour ne pas qu’elle soit démasquée. Non mais la fatigue : passer ton temps à cacher une incompétence qui n’existe que dans ton esprit, ça doit te bouffer un sérieux paquet de nerfs.

« Oh ça va c’était pas si compliqué »

L’autre grande spécialité de la personne se pensant en position d’imposture, c’est l’incapacité totale de recevoir le moindre compliment sur son travail et de minimiser celui-ci et son apport. Ce n’est pas tant une question d’humilité (ça c’est quand y a des infiltrations) qu’une question de refus de reconnaître la valeur du travail fourni et produit, parce que bon, tu comprends, n’importe qui pourrait faire ce que tu fais. C’est également lié à cette impression de ne pas mériter la réussite, parce qu’elle est due, d’après « l’imposteur », à des facteurs extérieurs : la difficulté est d’objectiver sa réussite et de la reconnaître comme était de son propre fait. Tout cela fait partie de cette sournoise boucle de la dévalorisation qui peut être contre-balancée « facilement » une fois que tu te rends compte que tu peux te valoriser et être fier·e de tes réussites sans pour autant prendre le boulard du siècle. Tout est dans la mesure.

 

Il faut par contre noter que l’apparition du « syndrome » chez les doctorant·es, c’est un peu comme les antibiotiques, c’est pas automatique et il ne présage en rien du fait d’être un « excellent doctorant » comme l’avance ce billet de blog. Je connais quelqu’un de très bien qui a fait une (très bonne) thèse sans n’avoir jamais rencontré ce sentiment. Je le connais même tellement bien que je l’ai épousé, donc bon. 

 

Bon et donc cette recette magique pour transformer ce sale sentiment en déco de salon?

DISCLAIMER : il n’y a pas de recette magique parce que ce n’est pas une maladie. Le sentiment d’imposture peut néanmoins devenir un véritable problème quand il empêche de savourer ses succès, de postuler à un emploi ou simplement de suivre une voie particulière.

Un élément essentiel, et c’est un peu l’objectif de ce billet, c’est que savoir qu’on n’est pas seul·e à ressentir cette crasse, c’est déjà quelque chose et ça aide à relativiser. Ce qui peut aider également, c’est d’objectiver le travail fourni : si tu penses avoir eu un financement doctoral par hasard ou parce que le jury était bien luné, repense aux heures que tu as passées à préparer ton sujet, à lire la littérature en bibliothèque, à répéter ton texte, à reformuler certaines tournures de phrases, à anticiper les questions. Enfin, il me semble important d’apprendre à recevoir les mots gentils, les compliments, les félicitations. Apprendre à recevoir, ça veut avant tout dire les écouter, et ne pas les balayer d’un revers de la main en disant “oh c’était pas très compliqué tu sais” ou “merci mais ils ont été attentifs à ma conférence parce qu’il fait moche dehors”. 

 

Ce billet fait partie d’une série consacrée au voyage dans le pays de la thèse ! Voici les liens des autres billets de cette série : 

Il est également question du sentiment d’imposture dans ce billet, avec d’autres conseils ! 

Le Grand voyage (III) : le sentiment d’imposture
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