De façon plus ou moins régulière, la toile (=Twitter) s’agite un peu pour dénoncer le fait que les doctorant·es soient considéré·es comme des étudiant·es. Bon on va pas se mentir, comme beaucoup de débats sur Twitter, c’est surtout une question très franco-française : ce n’est pas aussi touchy de ce côté-ci de la frontière (celui où on dit « houit » et où on mange des pêches au thon). J’ai aussi récemment assisté à une réunion internationale où il y a eu une longue discussion sur la question de savoir s’il fallait désigner les doctorant·es comme des “PhD students”, “PhD candidates” ou “PhD researchers”. Dans certains pays, la question est pratiquement politique et a des implications importantes. J’avais donc envie de revenir sur cette question-là parce qu’elle fait écho à des choses dont j’ai déjà causé, notamment dans ce billet consacré au parcours administratif durant la thèse. Alors, les doctorant·es, sont-ils et elles encore des étudiant·es ? Eh bien, au risque de me faire des ennemis, franchement, je suis désolée de mettre un coup de pied dans la fourmilière mais, en fait, ben, oui.
Soyons clairs ici directement : affirmer que les doctorant·es sont étudiant·es n’enlève absolument rien au caractère professionnel du parcours et surtout, de l’importance de valoriser les années passées en thèse comme tel. C’est toute la beauté/difficulté du doctorat : ce statut hybride entre la formation et la recherche, entre le travail et les études. Je trouve juste que nier ou minimiser l’importance du doctorat comme période d’étude et de formation revient à passer à côté d’un aspect super important du parcours. Et je dis ça parce que quand j’étais doctorante, je détestais qu’on me traite d’étudiante. Non non, je travaillais, j’avais un salaire (enfin, une bourseke), un bureau (enfin, une table) et je devais rendre des comptes (enfin, quand on m’en demandait). Avec le recul, je suis néanmoins persuadée que si j’avais eu davantage conscience de l’aspect « formateur » du parcours doctoral, je l’aurais envisagé très différemment : j’aurais accepté plus facilement que j’avais encore plein de choses à apprendre, à maitriser, ça aurait permis au fameux syndrome de l’imposteur de ne pas frapper aussi fort, et j’aurais moins eu l’impression de perdre mon temps lors des formations obligatoires de mes Écoles doctorales.
Une formation diplômante
C’est élémentaire mais c’est important de le rappeler de temps en temps : les doctorant·es font partie de la communauté universitaire, sont inscrit·es à l’université (qui sont les seules institutions habilitées à délivrer le diplôme), et doivent à ce titre payer des frais d’inscription. En Belgique francophone, la règle générale est de payer un minerval complet une fois (qui s’élève à 835€ pour les ressortissant·es de l’Union européenne) puis de payer les frais administratifs (env. 66€ par an). Dans certains cas (en fonction du type de financement par exemple), il n’est pas nécessaire de payer, mais l’inscription reste requise chaque année. Les doctorant·es ont donc une carte étudiant et bénéficient des avantages liés à ce statut. Genre le menu à 3€ chez Quick. Ou les 10% chez le coiffeur le mardi. Ou les 2€ gagnés sur le cinoche. Bref tu vois le tableau. Le parcours doctoral est jalonné d’étapes qui peuvent, comme pour les études de 1er et 2ème cycles, se solder par un échec. En effet, il est possible, en raison du manque de qualité du travail, d’arrêter un parcours doctoral en cours de route et de bloquer la possibilité de réinscription. Pas d’inscription, pas d’université. Pas d’université, pas de thèse. Pas de thèse, pas de thèse.
Par contre, quand tout se passe bien, la réussite du parcours doctoral se solde sur un examen final (la défense privée puis la soutenance publique) et l’attribution d’un diplôme de 3ème cycle. Il n’y a pas de diplôme supérieur à celui-là, même qu’il est imprimé sur du papier spécial et tout (ok comme tous les diplômes mais QUAND MÊME)*. Le doctorat, c’est donc un certain nombre d’années d’études universitaires qui débouchent sur un diplôme, remis sur base de l’avis positif d’un jury spécifique, et ce, quelles que soient les conditions dans lesquelles le doctorat s’est déroulé (sujet, collaborations, financements, etc.).
*Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler sur Twitter (suivez-y-moi d’ailleurs), les diplômes ne peuvent pas être réimprimés. Donc si vous le perdez, c’est foutu de chez foutu. Numérisez-le et surveillez-le comme la prunelle de vos yeux.
Se former pour mieux chercher
On dit souvent que le doctorat est une « formation par la recherche pour la recherche ». Si on peut clairement discuter la dernière partie de la phrase, la première est essentielle : réaliser un doctorat, c’est se former en réalisant une recherche originale. Mais pas que… Bien sûr que le fait de faire une recherche va vous permettre d’acquérir des compétences spécifiques dans un domaine et donc vous permettra d’approfondir les connaissances que vous avez déjà acquises lors de vos études. Et ça, c’est beau. Mais le doctorat est également l’occasion de développer des compétences parfois insoupçonnées et qui seront – on l’a déjà rappelé moult et moult fois par ici – utiles dans votre poursuite de carrière (quelle qu’elle soit) mais aussi dans le cadre de votre thèse en elle-même ! Et ça, on a parfois tendance à l’oublier et à s’imaginer qu’on perd notre temps à assister à des journées entières de formation. Mieux se former permet dans 80% des cas (pourcentage non contractuel issu d’une étude américaine) de mieux chercher, et donc d’augmenter la qualité de sa thèse.
De toute façon, la formation doctorale fait partie intégrante (et obligatoire) du parcours : les doctorant·es sont obligé·es de valider un certain nombre de crédits pour pouvoir obtenir le diplôme. Chez nous, ce nombre s’élève à 60 crédits, à organiser comme chacun le souhaite (enfin dans les limites du raisonnable), et avec l’approbation du comité d’accompagnement. Ces crédits sont validés formellement par le jury lors de la défense privée et mènent à la délivrance d’un Certificat de formation à la recherche**. Pas de formation, pas de diplôme. Pas de diplôme, pas de diplôme. Ces formations prennent des formes très diverses qui dépendent notamment de l’École doctorale, du domaine, des promoteur·rices, : participer (activement ou non) à des colloques, suivre des formations transversales, publier un article, présenter un poster, assister à des cours de 2ème cycle (et les réussir), et tutti chianti.
**Par contre, il est possible dans certains cas d’obtenir ce certificat sans avoir terminé sa thèse : si vous pouvez prouver que vous avez validé les crédits mais, que pour une raison X Y Z vous n’êtes pas allé·es au bout de votre parcours doctoral, vous pouvez quand même l’avoir. C’est-ti pas splendide ?
Un statut indubitablement hybride
Clairement, le doctorat reste un objet difficilement définissable dans le paysage académique (quoi que sans doute mieux balisé que le post-doc). Ce statut étudiant se conjugue en effet avec un statut clair et net de chercheur·euse. De plus, la plupart du temps (mais on sait que c’est loin d’être systématique, surtout en SHS), les doctorant·es sont rémunéré·es pour faire leur recherche, et sont à ce titre – justement – considéré·es comme des travailleurs·travailleuses et comme membres du personnel de l’université. Ce double statut fait véritablement la richesse du parcours mais peut aussi apparaître comme une difficulté, notamment administrative, pour savoir à quels services s’adresser et dont on dépend véritablement.
J’ai commencé par ça mais comme je prends de l’âge j’aime bien radoter : il est avant tout essentiel de continuer à considérer le doctorat comme une expérience professionnelle de recherche, et le valoriser en tant que tel dans le cadre de la recherche d’emploi. Une piste qui est souvent préconisée par les services d’orientation professionnelle, est de ne pas hésiter à indiquer les années passées en doctorat à la fois dans les catégories « Expériences » et « Formations » du CV, en insistant sur des points différents. Il ne faut néanmoins pas oublier que cette expérience de recherche est sanctionnée par un diplôme, et qu’elle doit à ce titre satisfaire à des exigences.
En savoir plus ? En Belgique francophone, l’organisation du doctorat est régie par le Décret Paysage (Art. 71 et suiv.) et dépend du ministère de l’Enseignement supérieur. Je sens bien que vous n’avez qu’une seule envie, c’est de courir lire ce Décret, donc voici le lien pour satisfaire cette pulsion (àpd p. 35)
Très heureuse de te relire Sophie, merci d’éclairer nos lanternes. A bientôt
Toujours en plein dans le mille, Sophie! Excellent papier, auquel j’adhère à 100%!
… Cela ne m’empêchera pas de lutter contre l’utilisation de “PhD student” comme dénomination standard, car elle _réduit_ les doctorant·e·s à ce statut. Nous avons la chance en français de disposer d’un terme propre, non réducteur. En anglais, je continue à préférer “PhD candidate”, ou parfois “researcher” (ou ECR etc., selon contexte). Et rappelons que la formation tout au long de la vie reste un impératif professionnel pour tou·te·s! La formation doctorale fait partie du parcours diplômant, mais c’est aussi une formation continue pour les chercheuses et chercheurs candidat·e·s au doctorat.
J’avais lu que « PhD candidate » était plutôt utilisé à l’approche de la soutenance lorsque les formations ont été effectuées alors que « PhD student » pouvait être utilisé dès le début du doctorat.