Oui je sais, vaste, vaaaste thématique, vaste question ! Tellement vaste que des rapports et des articles proposant des solutions fleurissent en moyenne toutes les deux heures en Europe : il existe en effet de nombreuses structures, organisations, institutions et associations (et autres brols qui terminent – ou pas – par –ion) qui se sont penchées sur la question de la précarité des jeunes chercheurs et chercheuses. Pour s’y retrouver un peu, et pour vous montrer que quand même, ce blog n’est pas que gifs, gaudriole, et journal intime, j’ai décidé de revenir dans ce billet sur les 3 propositions les plus courantes pour lutter contre la précarité dans le monde académique.
Le phénomène des permadocs
Tout d’abord, il convient de revenir sur ce dont on parle ici : la précarité des carrières dans le monde de la recherche académique désigne les difficultés qu’ont les chercheurs et chercheuses à obtenir un poste fixe à l’Université (et en dehors). La pandémie n’a bien entendu rien arrangé dans la mesure où le travail de recherche de nombreux chercheurs et chercheuses a été compromis ou retardé. Et que, accessoirement, c’est pas la période la plus propice en termes de santé mentale, on va pas s’mentir. Mais pourquoi cette précarité ? Il y a pas mal de facteurs qui l’expliquent, mais un point de départ est sans conteste l’augmentation considérable, depuis de nombreuses années, du nombre de titulaires de doctorat dans le monde. En soi, c’est vraiment super, tous ces gens super qualifiés, super formés, bardés de diplômes qui détiennent dans leurs cerveaux les clés des solutions aux problèmes sociaux, sanitaires, logistiques, philosophiques actuels. Malheureusement, le manque de perspectives professionnelles, le peu de postes académiques et une reconnaissance assez relative du diplôme de doctorat ne permettent pas aux docteur·es d’envisager leur futur sereinement.
Avant de vous dévoiler en avant-première mondiale (non) 3 astuces de grand-mère (non plus) pour tenter de lutter contre la précarité des chercheurs et chercheuses, j’avais juste envie de revenir un court instant sur le phénomène des permadocs. Les permadocs, ce sont ces chercheurs et chercheuses, titulaires d’un doctorat, qui accumulent les positions postdoctorales durant des années, en espérant généralement obtenir un poste fixe en bout de course. Leurs parcours peuvent durer une dizaine d’années, à passer d’un bout de contrat à un autre, d’un statut à un autre, d’une université à l’autre, parfois seulement pour quelques mois, parfois pour plus longtemps, en espérant par exemple le départ en pension d’un·e académique. Et ça, c’est moche. Ce statut est vraiment symptomatique de ce qui ne va pas dans la recherche.
1.Le nerf de la guerre : le blé
Je sais que le sans gluten est à la mode, mais il n’y a rien à faire, quand on parle de lutter contre la précarité, on parle avant tout de blé, de flouze, de thune, de biftons et de fric. Bien entendu, même si ce n’est pas la solution magique, cela revient aussi à financer mieux et plus longtemps les chercheurs et chercheuses. L’idée n’est pas de multiplier les contrats courts (et donc éviter le phénomène des permadocs) mais d’offrir des perspectives à plus long terme, ce qui a également pour effet bénéfique de situer la recherche dans une dynamique qui lui permet de se développer au mieux.
On parle ici d’augmenter les moyens, mais pas que : il s’agit avant tout de mieux allouer ces moyens, de réfléchir à la façon dont on investit dans la recherche. Par exemple, et l’idée est discutable mais mérite la peine d’être soulevée, financer moins de contrats doctoraux et allouer ces moyens à des contrats post-docs plus solides (voir le dernier rapport de l’ORCS, p.9). Une autre idée serait de renforcer les équipes de soutien à la recherche et aux rédaction de projets dans les universités, laissant ainsi davantage de temps et d’énergie aux chercheurs et chercheuses pour se consacrer à leur recherche. L’une des plaintes les plus fréquentes dans le chef des chercheurs et chercheuses (quel que soit le stade où ils et elles en sont dans leur carrière) est le temps inouï passé à devoir s’occuper de tâches connexes à la recherche (et/ou l’enseignement) en tant que telle.
Il s’agit aussi de mieux encadrer les mobilités dans le monde de la recherche : très valorisée, la mobilité peut néanmoins avoir des effets néfastes sur la recherche et sur la vie privée des chercheurs et chercheuses (voir ce que j’avais déjà bafouillé à ce sujet). La préparer au mieux, la penser de façon stratégique et l’encadrer avec bienveillance : tout cela permet à l’expérience de mobilité d’être véritablement au service de la recherche et pas uniquement du CV. En bref, une meilleure gestion des ressources humaines (même si le terme est controversé) est vraiment centrale dans ce processus de changement systémique de la recherche.
2. L’éléphant dans la pièce : les formations
L’un des moyens de lutter contre la précarité des professionnel·les de la recherche est de faire en sorte qu’ils et elles aient une meilleure connaissance des possibilités de carrière après un doctorat. Et quoi de mieux, pour se préparer à l’après-thèse, que de se former pendant la thèse ? Généralement, les formations qui aident à mieux envisager l’après-thèse se font essentiellement dans une perspective de sortie du monde académique. Allez, on va pas s’mentir une fois de plus ici, nos doctorant·es ne sont pas assez bien préparé·es à trouver un emploi hors du monde universitaire. Ça ne signifie pas que rien n’est fait, parce que la plupart des universités sont dotées d’un career center ou de quelque chose d’équivalent.
L’idée est de dérouler le panel des possibles aux chercheurs et chercheuses, leur montrer quelles sont les options qui peuvent s’offrir d’un point de vue professionnel, et surtout, de les soutenir dans ces démarches en leur donnant les clés pour mieux comprendre et appréhender le sacro-saint marché de l’emploi. Et cela passe par des formations axées sur la poursuite de carrière mais aussi par des formations transversales permettant d’acquérir des compétences utiles en dehors du monde universitaire. En fait on va ici toucher à une sorte de schizophrénie typique à l’Université : elle forme avant tout des chercheuses et des chercheuses, et a à cet égard parfois des difficultés à investir des moyens qui visent à lâcher dans la nature les talents qu’elle a formés.
Or, les formations transversales n’ont que des avantages : loin de détourner l’attention des chercheurs et chercheuses et diminuer le temps qui est consacré à leur recherche, elles ont même un effet bénéfique sur la qualité de la recherche (voir cette étude). Dès lors, pourquoi se priver ?
3. Améliorer le suivi des carrières des chercheurs et chercheuses
L’une des recommandations qui revient le plus souvent est de mieux connaître et identifier les défis en termes de carrière des chercheuses et chercheurs. Et pour ce faire, quoi de mieux que la collecte des données et la réalisation d’études autour du suivi des parcours professionnels de nos titulaires de doctorat ? Ces enquêtes interrogent leur situation professionnelle mais aussi les compétences acquises durant le doctorat et la pertinence de celles-ci au regard de la fonction actuelle.
Elles peuvent être menées par les institutions, des associations, des observatoires. Un rapport a même été entièrement consacré à la pertinence de mener ce types d’enquêtes. Ce rapport révèle entre autres que l’importance de ce type d’études réside dans le fait que cela permet aux candidat·es doctorant·es d’avoir une meilleure connaissance des possibilités de carrières en fonction des domaines d’étude : s’engager en connaissance de cause permet de désamorcer un nombre important de problèmes rencontrés durant le doctorat. Par ailleurs, ces études sont également très utiles aux universités pour mieux savoir sur quoi mettre l’accent dans le cadre de la formation doctorale, abordée plus haut. Bref la boucle est bouclée, merci d’être venus à mon Ted Talk.
Il y a encore tout un tas d’actions à mettre en place pour améliorer la situation d’après-thèse des chercheurs et chercheuses. Le famoso Observatoire de la Recherche et des Carrières Scientifiques (FNRS) a montré, dans son dernier rapport, que l’une des pistes était de mieux valoriser les compétences des docteur·es et la plus-value de la réalisation d’un doctorat. Cela passe par une meilleure visibilisation des parcours doctoraux, des difficultés vécues durant la thèse, mais aussi de ce que la recherche peut apporter à la société (par exemple, grâce au concours « Ma Thèse en 180 secondes »). Néanmoins, il n’y a rien de magique dans ces règles, et les suivre scrupuleusement n’empêche pas de se retrouver dans une situation compliquée, comme démontré dans cet article paru récemment dans Nature. En bref, on voit que souvent, les cartes sont dans les mains des institutions : des universités aux organismes de financement, il y a de quoi faire pour qui désire prendre en main la question de la précarité ! Au boulot !
Sources récentes et donc non-exhaustives :
Position on precarity of academic careers (ISE – 2020)
Reducing the precarity of academic research careers (OCDE – 2021)
Tracking the career of doctorate holders (EUA-CDE – 2020)
+ voir les rapports de l’ORCS – Leurs suggestions pour améliorer l’insertion professionnelle des docteur·es
Tout à fait d’accord avec toi Sophie. Il y a de plus en plus d’étudiant.es dans nos universités, certains enseignant.es se plaignent d’une surcharge de travail alors un meilleur financement permettrait l’ouverture de poste et aux chercheurs et chercheuses de les soulager tout en continuent un travail de recherche. Mais comme tu le dis si bien tout n’est malheureusement qu’une question de sous.
Et toujours le même combat d’une plus grande reconnaissance du doctorat en dehors de monde académique. Bravo Sophie pour tes articles