Il y a environ 25 ans, ma môman chérie m’offrait mon tout premier livre d’Histoire. Un bouquin pour enfants de Jean Favier, qui est encore quelque part dans ma bibliothèque (exploit pour moi qui ne garde rien plus de 2 ans), certainement bourré de clichés, mais qui a eu le mérite de réveiller en moi une passion pour l’Histoire. J’aime toujours dire que le 1er homme de ma vie était Clovis, j’ai même fait un exposé sur lui quand j’avais 8 ans à l’école. Cœur sur Clovis, puis cœur sur les Celtes, puis cœur sur mes Mérovingiens, cœur sur plein de choses, toujours en lien avec l’Histoire, et le Moyen Âge en particulier. Ma vie, c’était certain, c’était du Moyen Âge ou rien. Et puis j’ai fait une thèse.
Ça fait déjà un sacré bout de temps que j’avais envie d’écrire cet article. Je n’ai pas arrêté d’en retarder l’écriture et la publication pour des raisons nulles : je n’avais pas envie d’encore mettre en avant un truc négatif sur la thèse, sur ce qu’elle peut engendrer de mauvais. Mais parfois il faut dire les choses, et comme j’aime bien dire des choses, je trouve que c’est le bon moment. La thèse a eu un effet super néfaste sur ma passion pour l’histoire, et c’est quelque chose que j’ai eu énormément de mal à gérer durant mon doctorat. Ça m’a pourri le moral et je suis entrée dans un sale cercle vicieux de négativité. Quoi qu’on en dise, on parle beaucoup de la santé mentale des doctorant·es, des risques d’anxiété, de burn-out, de dépression, de harcèlement, de la surcharge de travail (voir, pour le cas français, cet article en réponse au tweet ci-dessous). Ça ne devrait pas, mais c’est une réalité liée à thèse : énormément (je vais me garder d’avancer des chiffres je suis pas statistologue) de doctorant·es ont souffert, souffrent et souffriront de stress durant leur thèse. Ce stress prendra des formes variables et aura des conséquences plus ou moins importantes sur le travail et la vie personnelle. Chez moi, c’était le deuil d’une passion et d’une vie consacrée au Moyen Âge.
« Un doctorant qui ne déprime pas, ce n’est pas un bon doctorant »
— Virgile (@LemoziVirgile) October 5, 2020
ENS Paris-Saclay, réunion d’information sur la poursuite d’études en doctorat, 2020.
Comme j’en ai l’habitude sur ce blog, je vais revenir sur mon expérience personnelle de maxi déprime durant la thèse en mettant l’accent sur un effet que je trouve assez tabou : la perte totale d’intérêt pour un sujet ou un domaine qui nous a passionné un jour. Je ne sais pas si c’est quelque chose de super courant, je pense que mon expérience a été brutale parce que je ne pensais pas que ça arrivait, qu’on pouvait comme ça, pif paf pouf, arrêter de trouver un intérêt dans quelque chose qui a été si important pendant plus de 15 ans. Ma passion a fait de moi une bonne étudiante, mais la thèse a fait de moi une mauvaise chercheuse.
Médiéviste à 7 ans
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours kiffé les trucs d’intello. Enfant, je lisais le dico et je faisais des résumés des livres d’histoire que je lisais. Je me souviens du jour où j’ai raté une interro en Histoire quand j’étais en 4ème secondaire, c’était le drame de ma vie, j’allais jamais m’en remettre. Il parait aussi que je saoulais tout le monde – dont ma prof d’histoire – à toujours vouloir causer des Mérovingiens. Le haut Moyen Âge par-ci, le haut Moyen Age par-là, ohlala j’étais totalement relou mais c’était pour la bonne cause. Puis, logiquement, j’ai commencé des études d’histoire. Dans l’ensemble, clairement j’ai vécu ma meilleure vie à l’unif, j’étais complétement transcendée par mes cours de Moyen Âge (les autres, moins, je dois bien avouer), je voulais en savoir le plus possible, faire du mieux que je pouvais et apprendre de mes erreurs. Quand j’ai eu l’occasion de commencer une thèse de doctorat directement après mon master, non seulement j’étais méga fière, mais en plus, je me disais que j’allais être payée pour travailler toute la journée sur du Moyen Âge. Meilleure vie (spoiler alert : non).
Back to reality
Comme j’avais pas trop mal géré mes études, je me disais que la thèse allait rouler comme une lettre à la poste. J’avais kiffé faire les travaux de séminaire et travailler sur mon mémoire, pourquoi ça serait pas pareil en thèse ? (haha). J’en ai déjà parlé sur le blog, mais avant de commencer ma thèse, je n’y connaissais strictement rien : ni sur la période, ni sur le type de sources que j’allais devoir aborder, ni sur la littérature sur le sujet, rien, nada, pet de lapin. De ce fait, toute la confiance en moi que j’avais accumulée pendant mes études a disparu petit à petit, ça a été subtile et progressif, mais on (= un de mes directeurs de thèse) m’a bien fait comprendre que je n’avais pas assez de connaissances, de compétences, que je n’en faisais pas assez. Comme j’ai fait une cotutelle, j’étais un peu ballotée entre deux universités, deux centres de recherche, deux directeurs, deux groupes de collègues, je n’étais donc vraiment ancrée nulle part, et ça n’a clairement pas aidé (j’expliquais ici d’ailleurs pourquoi je ne suis pas une farouche défenseuse des cotutelles, et c’est essentiellement pour ce dernier point !). Je vivais mal ma thèse mais sans vraiment savoir pourquoi, je me disais que c’était la distance (j’étais à Limoges), que j’avais besoin de temps pour rentrer dans mon sujet, pour m’adapter à mon directeur, au système universitaire français. Bien sûr tout ça a clairement joué, mais je sentais qu’il y avait quelque chose qui me turlupinait, et je craignais de commencer à comprendre…
Bye bye petite passion
J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que mon mal-être durant ma thèse était dû au fait que la flamme que j’avais pour le Moyen Âge était en train de s’éteindre petit à petit. Je n’étais plus motivée pour travailler là-dessus, j’étais en train de perdre mon feu sacré. Quand j’ai compris ça, j’ai encore eu besoin d’un sacré bout de temps pour l’accepter, c’était une forme de deuil : ma passion pour l’histoire faisait partie de mon identité, c’est quelque chose qui m’a toujours caractérisée, et j’étais en train de perdre ça. C’est ce qui a été le plus dur et qui a été presque impossible à gérer durant la thèse. Je préférais tout faire que de travailler sur mes capitulaires carolingiens, je ne voulais même plus en entendre parler.
C’est quelque chose d’assez classique en doctorat : à force d’avoir le nez H24 dans son sujet, on finit par ne plus en pouvoir. Néanmoins, un ras-le-bol passager d’une thématique n’est à mon sens pas tout à fait la même chose qu’un feu sacré anéanti. Je n’ai pas ouvert un livre d’histoire depuis la fin de ma thèse. J’en ai pourtant acheté, je continue à suivre des historien·nes sur Twitter et à me tenir au courant des actualités des centres de recherche, mais ma soutenance de thèse a clairement marqué un point final dans mon intérêt pour la discipline historique. C’est triste, mais c’est comme ça.
Now what ?
Toi : « Dis donc Sophie en général on vient lire tes articles pour se marrer un coup, en plus très franchement on a déjà assez de déprime comme ça en ce moment, qu’est-ce que tu fous ? »
Moi : « oh pardon Léon mais bon je vais pas te laisser mariner comme ça dans de la mauvaise humeur, tu me connais, je vais essayer de terminer sur une note un peu sympatoche ! »
Déjà terminer sur une note sympatoche impliquerait de ne pas utiliser le terme « sympatoche » mais soit. Si j’écris cet article, c’est pas (uniquement) pour me plaindre, mais c’est pour vous inciter à la vigilance. Il est important de se ménager, parce que les conséquences d’une thèse qui ne se passe pas super bien sont parfois insoupçonnées. Je n’ai pas de conseil clé-en-main pour ne pas en arriver là, déjà parce qu’un conseil ne peut pas être clé-en-main, mais aussi parce que vous êtes tous et toutes uniques et vos expériences aussi. Et ça c’est beau.
3 conseils pas-clé-en-main pour pas perdre son feu sacré pendant sa thèse :
- Bien choisir son sujet de thèse. Sur papier, tous les sujets peuvent avoir l’air intéressants, mais c’est important d’essayer un peu de se projeter avec ce sujet. Tous les sujets sont différents et impliquent un engagement différent. Je me dis parfois que si j’avais choisi un sujet qui m’avait permis de voyager plus, ou d’aller en archives, ou de m’intégrer dans des cercles différents, j’aurais sans doute eu un vécu radicalement opposé. Vous avez envie de terrain ? Choisissez un sujet qui vous permette d’aller en terrain. Vous êtes plutôt de nature solitaire ? Choisissez un sujet qui vous permet de traiter un max d’info à distance, depuis votre ordi. Vous aimez les carottes ? Achetez des carottes. Parfois la vie, c’est aussi simple que ça.
- Souffler. Je suis toujours mal à l’aise avec les conseils du type « prenez des vacances », « ne travaillez pas le week-end » ou « n’emportez pas votre disque dur avec en vacances ». Chacun fait comme il le sent, dans la mesure du raisonnable. L’idéal est de toujours trouver un moyen de souffler, et souffler, ça veut dire plein de choses : prendre des vacances, procrastiner utile (en lisant What-Sup par exemple), aller boire un verre (haha tu sais le truc qu’on faisait avant 2020), faire du sport, manger des carottes (ouais chuis d’humeur carottes, y a quoi ?) mais souffler ça peut aussi parfois dire prendre le temps de bosser à son rythme, de ne pas se presser ou se laisser presser, de faire des petites tâches qui semblent inutiles mais qui ne le sont pas (mise en page, bibliographie, traductions, …). Choisissez ce qui fonctionne pour vous et prévoyez ce temps pour souffler.
- Soigner sa 1ère année de thèse en particulier. Je ne sais pas exactement ce que j’aurais dû ou pu faire pour éviter d’en arriver à cette situation, c’est sans doute la conséquence de plein de petites et grandes choses qui se sont mal passées, et que les bonnes choses (parce qu’il y en a eu !) n’ont pas réussi à contre-balancer. Mais je pense que tout s’est joué lors de ma 1ère année, je n’ai pas bien démarré ma thèse et ça a sans doute eu des conséquences sur la suite de mon parcours. J’ai déménagé à Limoges, j’ai été très seule pendant 1 an, je n’étais pas prête pour commencer une thèse, je manquais de connaissances et d’organisation, bref j’étais complètement perdue. Alors pour ce dernier conseil-pas-clé-en-main, j’ai envie de vous enjoindre à être particulièrement vigilant·es à la façon dont se passe votre début de thèse, d’en profiter pour vous former, vous organiser, prendre le recul et le temps nécessaire d’absorber cette nouvelle vie, d’anticiper ce que votre sujet va vous permettre (ou pas), et éventuellement, si vous en ressentez le besoin, de manger des carottes.
J’espère que ça vous a plu n’hésitez pas à laisser un pouce bleu et à vous abo… ah non pardon je me goure de plateforme. Bref, n’hésitez pas à réagir en commentaires pour partager votre expérience !
Nou sommes de tout cœur avec toi. Quelque soit ta décision elle sera là bonne. Gros bisous.
Bonjour Sophie,
Tu as quand même soutenu ta thèse si je comprends bien ?
Bon, je dois réagir… D’abord merci, je viens de parcourir plusieurs post qui me parlent énormément. Dont celui-ci, parce que moi aussi j’ai commencé une thèse dans un domaine qui me passionnait: l’écologie. Et aujourd’hui, je n’arrive plus à lire les actus sur ce sujet… je n’ai plus envie de faire des efforts au quotidien… Alors que je suis (j’étais ?) cette meuf écolo à qui on demande une recette de shampoing solide. Bon faut dire que l’écologie c’est un sujet hyper anxiogène aussi. Jamais une bonne nouvelle quoi. En plus de ça mes deux directeurs de thèse (vive les co-tutelle) n’ont aucune compétence dans ce domaine, eux ils voudraient que je tire vers les sic d’un côté, la construction de l’autre… Bref, je veux pas arrêter (j’oserais pas me l’autoriser), mais à lire ce blog, j’ai furieusement envie de réorienter ce fameux “Titre provisoire”…
Merci pour ton témoignage ! Réorienter le sujet est 9/10 une solution gagnante – quand les directeurs soutiennent derrière, ce qui n’est pas toujours gagné… Courage et bonne chance !
Un tout grand merci pour ce partage !
Je vis la même chose. J’étais passionnée par mon domaine de recherche avant de faire une recherche dessus. Comme elle est financée, je me sens ingrate d’être désenchantée. Mais c’est pourtant ce que je ressens, le feu s’est éteint…