Confinement, jour 43. J’aurais aimé te dire que j’en ai profité pour écrire 17 billets d’avance pour le blog, que j’ai lu 38 bouquins, que j’ai commencé à apprendre le danois et que j’ai fait 10000 pas par jour. À la place, j’ai fait des cookies, j’ai fini de construire mon Central Perk et j’ai passé 42 jours à me dire « tiens j’écrirais bien un article sur les thèses en cotutelles ». Et là, après avoir joué 7h d’affilé à Angry Birds, il était temps que je m’y mette. Accroche donc ta ceinture, parce que je t’emmène dans le monde merveilleux des thèses en coco, des thèses en tutu, des thèses en cotutelle, et crois-moi : ÇA DECOIFFE !

Au menu de ce billet : je vais d’abord revenir sur ce qu’est une cotutelle mais comme tout ça sera un peu trop théorique, je vais surtout prendre un peu le temps de raconter ma vie pour tenter de dégager de façon tout à fait objective (non) les avantages et inconvénients des cotutelles. Et parce que j’ai été bien formée et que je suis sympa, en fin d’article, je propose un TOP 3 des choses à retenir sur les cotutelles ! Franchement si ça te donne pas envie de lire jusqu’au bout, je sais pas ce qu’il faut.

Disclaimer : comme d’habitude, ce que je raconte ici n’engage que moi (et encore) et n’engage pas mon employeur.

Kézako ?

Un doctorat réalisé dans le cadre d’une cotutelle se prépare dans deux universités différentes puisqu’elle vise à favoriser la collaboration scientifique en promouvant la (sacro-sainte) mobilité internationale des doctorant·es. Il y a des règles différentes en fonction des universités, des pays, et des bailleurs de fond. Il est donc possible que certains points abordés dans ce billet ne soient pas vrais pour tout le monde et nécessitent d’être nuancés. N’hésitez donc pas à faire part de votre expérience en commentaire ! La logique est néanmoins grosso modo la même partout : s’inscrire au doctorat dans les deux institutions, appartenir à (au moins) deux équipes de recherche dans deux universités différentes, et être encadré·e par deux directeurs ou directrices de thèse. Il s’agit donc d’une copromotion assortie d’une mobilité obligatoire et avec à la clé, un double diplôme. Il est possible de réaliser une cotutelle avec un établissement situé à l’étranger, ou une institution du même pays, voire de la même ville, voire du même quartier, voire de la même rue mais dans ce cas c’est chelou et renseigne-toi parce qu’à mon avis tu te fais avoir.

Les modalités des cotutelles sont régies par des conventions passées entre les institutions diplômantes (habilitées à délivrer des diplômes de 3ème cycle, aka le titre de docteur·e, aka ton passeport vers l’emploi akahaha non je déconne). Dans la mesure où elles visent à définir l’organisation de la période de cotutelle, ces conventions ne sont pas une mince affaire… Cela prend du temps, beaucoup d’aller-retour entre services administratifs des universités, le ou la doctorant·e, les promoteur·rices. Je vais pas t’mentir, ça peut prendre quelques mois (parfois plus) parce qu’il faut que la convention soit une sorte de compromis entre des règlements doctoraux parfois incompatibles. Par exemple, certaines universités refusent que les promoteur·rices fassent partie du jury, quand c’est obligatoire dans d’autres. Il faut alors négocier pour arriver à une entente, en essayant toujours un maximum de garder à l’esprit l’intérêt des doctorant·es.

Ma vie, mon œuvre

Je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises mais il me semble qu’il est grand temps de dévoiler les coulisses de cette information : bonjour, je m’appelle Sophie et j’ai fait ma thèse en cotutelle (vous : “Bonjour Sophiiiie”). J’ai même fait 2 cotutelles puisque j’étais en cotut’ Université de Limoges / Université libre de Bruxelles entre 2011 et 2015 et puis pour des raisons totalement dépendantes de ma volonté, j’étais en cotut’ Université libre de Bruxelles / Université Saint-Louis – Bruxelles entre 2015 et 2017. J’ai donc volontairement mis fin à une cotutelle, et ai décidé de remplacer une université (et donc un directeur) par une autre (et donc par un autre directeur). À l’époque, je n’étais pas trop consciente de ce que ça signifiait, d’un point de vue purement administratif, que de rédiger et faire approuver une convention de cotutelle. Maintenant que c’est quand même relativement, je pense que je peux le dire, MON MÉTIER, je peux dire que c’était vraiment pas cool de ma part. Mais dans la mesure où ce changement a permis de sauver mon doctorat et, incidemment, de rencontrer mon mari, je suis sorry pour la papyrasserie supplémentaire, mais ça valait le coup.

Je ne vais pas revenir sur la façon dont s’est passé mon doctorat (c’est pas que j’ai pas envie mais je l’ai déjà fait hihi c’est par ici), mais en gros, tout s’est passé très vite et j’ai obtenu en 2011 une bourse de la région du Limousin pour travailler à l’Université de Limoges sur des vieux bazars. Comme, en plus d’être une vraie démocrate, je suis une vraie bruxelloise de souche, l’idée était que je reste rattachée à mon université, l’Université libre de Bruxelles (ULB). Je passais environ 3 mois à Limoges, 3 mois à Bruxelles, puis 3 mois à Limoges, puis 3 mois à Bruxelles (3×4 = 9, le compte est bon). Je n’ai jamais bénéficié du moindre centime pour mes voyages, et autant te dire qu’on était pas dans du gratos parce qu’entre Limoges et Bruxelles, il y a Paris, et qui dit Paris, dit Thalys, et qui dit Thalys, dit Thalys, si tu vois ce que j’veux dire.

Ces allers-retours intempestifs ont duré 3 ans puisqu’en 2014 j’ai été engagée comme assistante à l’Université Saint-Louis – Bruxelles (USL-B). Cela signifie que pendant 1 an, j’ai été payée par l’USL-B pour faire une thèse en cotutelle entre Limoges et l’ULB. Normal (non). Puis, en raison de différends inconciliables avec mon directeur de Limoges (qui était en réalité parti en Allemagne en 2013) (ça va tu suis ?), j’ai décidé de rompre les liens avec Limoges et de poursuivre ma thèse en cotutelle entre l’ULB et l’USL-B. Nouveau départ pour une nouvelle vie. Littéralement. Et désolée pour le vocabulaire mais je peux difficilement le dire autrement, j’ai dû passer pour l’emmerdeuse de service auprès de mes universités et des services administratifs. Oupsie.

Moi essayant de régler les problèmes liés à ma cotutelle

Ce changement de cotutelle n’a été une promenade de santé pour personne mais ça a probablement été la meilleure chose qui me soit arrivée dans le cadre de mon parcours doctoral. Cela n’avait plus aucun sens que je sois rattachée à une université où ni moi, ni mon promoteur ne mettions les pieds. Si on part du principe que le gros point fort des cotutelles est la collaboration scientifique, on peut clairement dire qu’on a déjà vu plus efficace pour collaborer. En plus, I don’t want to get emotional, mais j’ai passé 3 années trop cool à Saint-Louis, j’y ai rencontré la crème de la crème, j’y étais en mode hashtag meilleure vie, alors c’était bien normal que je m’y rattache formellement.

Ainsi, le 2 juin 2017, j’ai été proclamée Docteur en Histoire de l’Université Saint-Louis-Bruxelles et Docteure en Histoire de l’Université Libre de Bruxelles. Clâsse, nan ?

La cotutelle : une fausse bonne idée ?

Je ne vais pas revenir ici sur les avantages et inconvénients de la mobilité, j’en ai déjà parlé à moulte et moulte reprises, mais il me parait important de revenir sur les « Pro’s and Con’s » des cotutelles

Un côté vraiment chouette de la cotutelle, c’est l’intégration à plusieurs équipes de recherche. La cotutelle suppose de passer un temps significatif dans l’université partenaire, cela signifie qu’il y a vraiment moyen de tirer un véritable bénéfice, de confronter les méthodes en profondeur, de nouer des contacts et d’élargir durablement son réseau. Clairement, la coopération scientifique est essentielle et est au cœur du processus. La cotutelle suppose aussi un double encadrement, avec des promoteur·rices qui évoluent peut-être dans des univers scientifiques différents, et qui s’enrichissent mutuellement et enrichissent le travail des doctorant·es. Un autre point qui est un avantage de la réalisation d’une thèse en cotutelle, c’est d’obtenir en bout de course deux diplômes. Il est possible d’avoir deux diplômes distincts, ou d’avoir un double diplôme, mais l’objectif est d’être proclamé docteur·e dans deux institutions. Ça peut (mais ce n’est pas toujours le cas !) être déterminant pour obtenir un poste et ça empêche de devoir passer par la case « équivalence ». Et aussi, deux diplômes, c’est deux fois plus de possibilités de se la péter en décorant son salon. Et ça, c’est cool. Cool, cool, cool.

Il est aussi tout à fait possible de bénéficier de la majorité des points détaillés dans les avantages sans passer par la case cotutelle : une copromotion permet de bénéficier d’un double encadrement, des séjours scientifiques à l’étranger permettent de s’insérer dans une équipe pendant plusieurs mois, et il te suffit d’aussi accrocher au mur ton certificat de formation à la recherche pour faire genre t’as deux diplômes. Par ailleurs, mais là je vais faire uniquement référence à mon expérience personnelle parce que je sais que ce n’est pas pareil pour tout le monde : une cotutelle peut potentiellement coûter un braquage. Je l’ai dit plus haut, je n’ai jamais eu un seul remboursement pour mes trajets entre Limoges et Bruxelles, sous prétexte que bon quand même j’étais payée. Je vois en effet bien mon employeur actuel me dire « meuf, tu peux bien payer de ta poche les 1500 balles d’abonnement de train annuel APRES TOUT T’AS UN SALAIRE il faut bien que ça serve ». Pardon je m’emporte. En soi, la cotutelle n’a, à mon sens, que trop rarement une plus-value dans le parcours, d’autant plus qu’on se rend compte, aujourd’hui plus que jamais, que les définitions de la collaboration s’élargissent en permettant de penser plus globalement l’encadrement d’un projet doctoral.

Bref, pour qu’une cotutelle soit une vraie bonne idée, il faut se poser les bonnes questions :  quels sont les avantages pour mon projet ? Quelle sera la plus-value pour mon doctorat mais également pour mon parcours professionnel ? Est-ce l’option préférable pour une collaboration scientifique efficace? Est-ce que les deux diplômes iront bien dans ma déco de salon ?

3 choses à retenir sur les cotutelles
  1. C’est pô l’fun administrativement parlant

On pourrait croire (en fait personne ne le croit) qu’une cotutelle, en impliquant deux institutions, c’est deux fois plus de fun. C’est en tout cas plus que jamais faux d’un point de vue administratif. Il est important de rappeler qu’il y a des gens derrière les cotutelles, que ça demande beaucoup de boulot et que les négociations sont parfois compliquées. C’est aussi lourd pour les doctorant·es qui doivent s’inscrire tous les ans dans deux universités et parfois deux écoles doctorales. Bref, phobiques administratifs s’abstenir !

  1. Il y a des alternatives

La cotutelle est loin d’être le seul moyen de mettre en place des collaborations scientifiques : les échanges et séjours scientifiques pour doctorant·es sont bien balisés et il est possible d’obtenir des financements pour réaliser un séjour de plusieurs mois dans une autre université. La collaboration scientifique dépasse largement le cadre de la cotutelle : il est possible de réaliser son doctorat avec deux promoteur·rices et ainsi bénéficier de contacts et de réseaux plus larges, ce qui permet également s’intensifier les collaborations !

  1. Bien penser ce que cela implique financièrement et psychologiquement

Bref une cotutelle ça se pense ça se pèse, ça se sous-pèse parce que cela dépasse le cadre scientifique stricte. Une cotutelle, cela signifie vivre à deux endroits en même temps, devoir ainsi éventuellement payer deux loyers, cela signifie être à moitié dans chaque institution, mais nulle part entièrement, cela implique aussi une plus lourde empreinte carbone et des tracasseries dont on se passerait bien quand on est en thèse.

Faire une thèse … en cotutelle
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Un avis sur « Faire une thèse … en cotutelle »

  • 28 avril 2020 à 0 h 08 min
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    Merci beaucoup pour cet article qui aborde de front la cotutelle, sujet dont on parle assez peu. Ayant moi-même bénéficié de ce dispositif, je suis d’accord avec les avantages et les limites que vous lui entrevoyez. J’aimerais ajouter quelques remarques en faisant part de ma propre expérience.

    Je vous rejoins entièrement quant aux conséquences financières (merci les a/r qui ne s’arrêtent jamais pendant 3 ans) et psychologiques de la cotutelle. La cotutelle, c’est une épreuve supplémentaire à celle de la thèse. En étant éloigné de nos proches et en se retrouvant dans un environnement culturel étranger dans lequel on reste finalement que quelques mois – ce qui est ridicule pour nouer des liens solides -, on peut vite tomber dans l’un des principaux pièges du doctorat : l’isolement. Il faut fournir des efforts pour se construire une vie sociale et l’entretenir, en plus de ceux déjà convoqués pour s’atteler au travail doctoral et alors que le temps du doctorant passe prioritairement dans la solitude de sa recherche. Ceci a évidemment des impacts psychologiques indéniables sur le moral, sur la capacité à se créer un climat propice au travail et sur la sociabilité.

    Pourtant, si l’on parvient à dépasser cette limite, la cotutelle peut être une chouette expérience comme tout séjour long à l’étranger : apprentissage d’une langue et d’une culture étrangère, adaptation à de nouvelles organisations, découverte de paysages urbains et naturels, rencontres avec des personnes qui ont des points de vue parfois radicalement opposés aux nôtres, etc. Bref, dans mon cas, les avantages de la cotutelle n’ont pas véritablement été scientifiques (mais je ne suis pas tout à fait honnête car mon université d’accueil disposait d’une belle et très riche bibliothèque et que ma directrice a toujours été de bon conseil). Ils ont été principalement linguistiques et culturels.

    Finalement, la cotutelle est une épreuve ajoutée à celle du doctorat à un moment où on s’en passerait bien. Mais elle développe une certaine ouverture d’esprit et des compétences qui serviront pour l’après-doctorat.
    Donc, la cotutelle, une fausse bonne idée ? À une époque j’aurais acquiescé sans hésiter car l’expérience a parfois été douloureuse. Aujourd’hui, mon sentiment est plus contrasté. Il n’existe sans doute pas de réponse figée à cette question ; chaque expérience de la cotutelle dépend de nombreux facteurs singuliers, comme vous l’avez évoqué (directeur.trice de thèse sympathique/antipathique/qui-fait-son-job, collègues doctorants accueillants/indifférents/inexistants, barrière de la langue, besoin naturel de relations sociales, séjour pertinent quant au sujet de thèse et au projet professionnel, etc.). Pourtant, il y a un point sur lequel je n’ai pas changé d’avis et qui rejoint votre réflexion : ce dispositif sert sans doute davantage les universités, car elles peuvent se prévaloir d’un rayonnement à l’international, plutôt que l’intérêt immédiat du doctorant.

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