On connait (presque) toutes et tous la scène du film « On connait la chanson », où la protagoniste, Camille, précise, avec un air excédé, qu’elle prépare une thèse sur les chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru. Plus tard dans le film, elle soutient sa thèse devant un jury composé exclusivement des vieilles personnes, dont 4 hommes, et 1 femme. Ambiance et poussière donc. Le doctorat, s’il n’est que très rarement au centre des productions de fiction, s’immisce parfois dans celles-ci avec des figures de doctorant·es parfois farfelues, parfois réalistes, parfois farfelistes. Ainsi, quelle image pour le doctorat dans la fiction ? Comment sont représenté·es les doctorant·es, docteur·es, voire le monde académique plus généralement?
Ce mois-ci, What-Sup propose de revenir sur quelques personnages académiques fictionnels !

Comme il faut quand même raison garder, je n’en aborde ici que 4. Et comme l’équilibre j’aime bien ça, il y a des hommes, des femmes, de la littérature française, du bon cinéma français et de la série américaine. J’ai donc eu envie de revenir sur : le personnage de Ross Geller (Friends), la méconnue Joséphine dans le premier volume de la trilogie de K. Pancol (Les Yeux jaunes des crocodiles), les scientifiques hautement nerdy Amy, Bernadette, Sheldon, Leonard et Raj (The Big Bang Theory) et enfin Tanguy (…Tanguy). Il s’agit de fictions, donc les personnages sont forcément exagérés, irréalistes voire grossièrement caricaturés. Mais comme je n’ai jamais dit que cet article avait une quelconque prétention scientifique, ça n’a aucune espèce d’importance. Cela explique aussi pourquoi j’ai réservé un traitement totalement et anarchiquement inégal à chacun des personnages.

Ross Geller, l’incontournable

Je commence par Ross parce que 1) je fais ce que je veux, 2) il y a beaucoup à dire sur lui, et surtout que 2) je suis une très (très) (très) grande fan de Friends . Preuves : je connais le métier de Chandler, je pleure chaque fois que je vois l’épisode final, j’ai un t-shirt « He is my lobster » et j’envisage sérieusement (non) d’appeler ma fille Phoebe. Et puis Ross est seeeeeexy (non plus).

Avant de m’attarder – certainement trop longuement parce que je n’ai aucun self-control – sur Ross, n’oublions pas qu’il n’est pas le seul scientifique de la série. Dans la première saison, Phoebe est en couple avec David. Ce dernier est un scientifique qui doit précipitamment quitter New York parce qu’il a reçu un financement pour aller faire des recherches en physique durant plusieurs années à Minsk. Oh tiens, une occasion rêvée pour faire un lien avec cet article consacré à l’injonction à la mobilité dans le monde scientifique. Hihi. Spoiler : David reviendra à la fin de la série parce que ses recherches n’ont abouti sur… rien. Bonne ambiance ici aussi. Toujours au rayon des scientifiques, plus tard dans la série, Charlie, une femme (!) noire (!!) devient collègue paléontologue de Ross. Evidemment, comme à son habitude, Ross frouchèle sévère avec elle et donc elle disparaît sans demander son reste au bout d’une pauvre saison.

Bref. Ross Geller détient un doctorat en paléontologie, on ne sait pas comment s’est passé son doctorat parce qu’il est déjà docteur dès le début de la série. Et ça c’est grave chelou parce qu’il a alors 26 ans. Il travaille dans un musée des sciences naturelles, d’où il est congédié temporairement après avoir pété un câble parce que quelqu’un avait mangé son sandwich (et que, accessoirement, il était en train de divorcer pour la 14ème fois). Il devient ensuite enseignant-chercheur (tenured) à l’Université de New York. Mazel Tov. Voilà pour le CV, et on est bien d’accord que sa carrière n’a ni queue ni tête ni rien du tout, à tel point que des gens mal intentionnés se sont même amusés à compiler toutes les incohérences de son parcours.

Ross représente un peu le docteur typique dans la mesure où on retrouve avec lui tous les grands classiques et images d’Épinal des PhDs. Tout d’abord, le mec est sérieusement relou : il passe son temps à corriger les fautes des gens et rappelle à qui veut bien l’entendre qu’il a un doctorat. Pour ce dernier point, je pense qu’on est nombreux·ses à devoir plaider coupable, parce que bon, hein, quand même, et pourquoi pas après tout (#argumentdechoc). Le mec se présente quand même comme « Dr. Geller » à une soirée entre voisins, et on a tous et toutes pensé ajouter un petit « Dr. » devant notre nom sur notre boite aux lettres. Ross is one of us.

On retrouve aussi un autre classique : la battle éternelle entre les M.D. (medicinae doctor : les « vrais » docteurs) et Ph.D (philosophiae doctor, soit grosso modo toutes les disciplines à part la médecine, les « faux » docteurs qui ne sauvent pas les vies des gens), qui surgit à plusieurs reprises dans la série :

  • La scène où la sœur de Rachel s’étonne que Ross et Rachel vivent dans un si petit espace parce qu’elle « pensait que [Ross était] docteur » et qu’elle repart dégoûtée parce que Rachel précise qu’il a un « PhD » (revoir la scène ici)
  • Quand Phoebe demande à Ross s’il est en train de mentir « comme la fois où il a essayé de faire croire qu’il était docteur » (revoir la scène ici) (ma scène préférée) (#teamPhoebe)
  • La scène où, à l’hôpital, il se présente comme Dr. Ross Geller et que Rachel (dont le père est chirurgien) lui dit de faire gaffe parce que « it actually means something here » (eeeeeet revoir la scène ici)

Par ailleurs, si Ross fait la fierté de ses parents, ses amis se foutent royalement de sa carrière et ses recherches. Sauf quand ça leur permet d’aller à la Barbade parce que Ross y dispense une conférence (qu’il perd d’ailleurs intégralement parce qu’il n’a pas fait de sauvegarde !). Ses amis s’endorment régulièrement quand Ross raconte ses histoires de dino et s’amusent à confronter son côté scientifique et rationnel (surtout Phoebe, qui ne croit pas en la gravité par exemple). Donc, autant Ross est relou, autant ses amis le sont également.

En bref, Ross a une carrière académique absolument improbable mais on se délecte quand même, à chaque saison, des petites blagues sur son statut de docteur et son côté totalement décalé par rapport à son groupe de friends.

Joséphine, chercheuse au CNRS

Joséphine Cortès est l’héroïne d’une trilogie de romans écrits par Katherine Pancol : Les yeux jaunes des crocodiles (2006 – adapté au cinéma en 2014), La valse lente des tortues (2008) et Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (2010). Je ne vais pas vous donner mon avis sur ces livres parce que 1) je n’en ai plus aucun souvenir et que 2) je ne suis pas critique littéraire et aussi que 3) personne ne m’a rien demandé. Ce qui m’intéresse ici, c’est le personnage de Joséphine. Je vous dirais juste que j’ai lu ces trois romans en 2011, quand j’ai commencé ma thèse en Histoire médiévale. Je n’ai pas dû aller chercher très loin pour m’identifier avec Joséphine qui est précisément … tadaaa…  (le suspense est insoutenable) … chercheuse en Histoire médiévale !

Joséphine est représentée comme une chercheuse totalement absorbée par ses recherches (jusque-là, rien de très anormal) qu’elle mène sur les femmes au Moyen Âge. Ce n’est pas réellement au goût de sa mère qui l’enjoint à « trouver un vrai travail » (tiens, tiens…). Elle a une sœur, Iris, qui représente tout ce que Joséphine n’est pas : riche, sociable, guindée et très très belle, apparemment. Elle inspire du dégoût à sa fille, Hortense, parce qu’elle est « moche et chiante ». Bonne ambiance et vivement Noël en famille dis donc. 

Comme souvent, ce n’est ni le monde académique ni la recherche qui sont au cœur de l’ouvrage, mais force est de constater que ça reste un élément central qui permet de cristalliser les différences frappantes entre Joséphine, la vilaine petite chercheuse, et Iris, la jolie écervelée. Le pitch est le suivant : Iris s’ennuie, elle a besoin d’attention et décide d’écrire un livre sur les femmes au Moyen Âge. Comme elle n’y connait rien et que José’ y connait tout, elle demande à sa sœur de le faire. Cette dernière passe donc son temps à rédiger un roman au lieu de faire ses recherches et de publier des articles scientifiques et de bouffer à l’œil aux colloques. Quelle drôle d’idée, sérieux. 

Le roman souligne en tout cas un des véritables problèmes de la recherche en France (et ailleurs en fait) : le sous-financement. Joséphine est à sec, fauchée, dans la dèche, sans la thune, 0 blé, flouze minimal, bref tu vois le tableau. On ne connait pas très bien son statut, elle est “chercheuse au CNRS” mais doit accepter des petits boulots de traduction pour arrondir ses fins de mois, et elle accepte d’écrire un livre pour pouvoir toucher l’intégralité des royalties pendant que sa sœur se pavane sur chez Drucker pour en faire la promo. A peu de choses près. Je ne dis pas que le roman dénonce ce sous-financement, qui est plutôt exploité ici à des fins narratives, mais ça reste intéressant à souligner.

On retrouve donc avec Joséphine ce côté décalé, comme hors du temps, et hors des réalités, assez typique dans les représentations des profils de scientifiques ! Mais également une nécessité constante de devoir se justifier de consacrer sa vie à une recherche fondamentale en Histoire médiévale… 

Tanguy, dans Tanguy

On continue dans la fiction française avec Tanguy, le héros du film éponyme, qui a aussi donné son nom au phénomène qui consiste à squatter sévèrement chez ses parents pour économiser un max de thunes afin d’acheter une villa à Lasne en cash à 35 ans.

Tanguy est donc (et là je vais être honnête : je cite Wikipédia, parce que je suis pas totalement maso et que j’ai pas re-regardé Tanguy pour cet article, sorry not sorry) (mais j’ai re-regardé Friends par contre hihi) (trois fois), BREF la dame disait donc que Tanguy est « diplômé de Sciences Po et de l’ENS Ulm, enseignant à l’INALCO, préparant une thèse sur l’émergence du concept de subjectivité en Chine ancienne ». Il a 28 ans, est un peu un serial-lover, et il vit toujours chez ses parents, qui en ont ras-le-béret et qui aimeraient bien qu’il aille faire ses chinoiseries ailleurs que chez eux. Oui mais voilà, 3 mois avant la remise finale du manuscrit, il se rend compte que le travail a été mal évalué, qu’il va falloir s’y coller une année supplémentaire, et donc rester vivre chez ses parents.

Alors, alors, alors, bon, je sais pas moi, mais 3 mois avant le dépôt du manuscrit, ça me semble un peu tard pour réaliser que le travail a été mal évalué, mais de toute façon Hakuna Matata (ça veut dire « pas d’soucis » ! ), le mec n’est pas encore docteur mais il a déjà un poste à Pékin, et ô magie, ce poste l’attend le temps qu’il finisse sa thèse ! C’est-y pas bioutifoule ? Je sais pas toi, mais moi, I smell bullshit.

Tanguy est un bonhomme poli, propre sur lui, qui parle en métaphores et qui est une véritable tête à claques quand il s’y met. Ici, la thèse est centrale dans le processus narratif, c’est elle qui conditionne son départ du nid familial et elle permet aussi d’insister sur les facettes stéréotypées de l’intello à lunettes qu’il représente parfaitement. 

Tanguy n’est véritablement un chef-d’oeuvre du cinéma français mais le film a eu le mérite d’attirer l’attention sur l’ambivalence du statut des doctorant·es. Mi-étudiant·es, mi-travailleurs·euses, les doctorant·es flottent dans une sorte d’entre-deux qui revient régulièrement dans le film. Et si vous ne regardez pas le film pour ça, regardez-le au moins pour Sabine Azéma et André Dussolier qui sont absolument exceptionnels #sponso #nonjedéconne.

Amy, Bernadette et puis Leonard, Raj, Sheldon

On termine en apothéose cet article déjà bien trop long avec BBT. J’ai recommencé il y a peu à regarder The Big Bang Theory. J’avoue ne pas avoir tenu plus de 2 saisons, mon côté féministe avait du mal à avaler que les femmes n’avaient vraisemblablement pas leur place dans cet univers scientifique. Si je n’ai pas regardé la série jusqu’au bout, je me suis grave fait spoiler en faisant mes petites recherches pour rédiger ce billet, donc on va dire que c’est comme si j’avais tout vu (mais si ça peut vous rassurer il n’y a ci-dessous pas de spoiler sur ce qu’il se passe dans les dernières saisons!).

Les deux seules femmes au rôle plus ou moins récurrent au début de la série étaient représentées comme des débiles écervelées (Penny) ou comme des robots ultra-cartésiens sans cœur (Leslie Winkle). Et puis, alléluia, Amy et Bernadette débarquent. Amy est titulaire d’un doctorat en neurosciences et est une espèce de double féminin de Sheldon Cooper, docteur en physique, et Bernadette obtient quant à elle un doctorat en microbiologie et elle est aussi attachante que sa voix est insupportable.

Amy et Bernadette sont donc titulaires d’un doctorat, tout comme Sheldon, Leonard et Raj, et contrairement à Howard qui n’est « que » ingénieur. Le fait qu’il n’ait pas de doctorat est source régulière de railleries et on retrouve aussi là de nombreuses références au fait que Howard travaille sur des choses concrètes, contrairement à ses amis docteurs qui restent engoncés dans leur théorie #classique. Dans la série, les titulaires de doctorat sont présentés comme des bêtes étranges et totalement asociales, complètement déconnectées de la réalité et très mal à l’aise (c’est même maladif) avec les conventions sociales.

On sait que la question de l’identification et de l’association de sa propre image aux personnages de fiction est essentielle : si la série a si bien fonctionné, c’est parce que de nombreux scientifiques (et autres !) se retrouvaient dans le côté super-geek des héros du show, comprenaient leurs références parfois insondables pour le commun des mortels et portaient également des t-shirt chamarrés-bigarrés. Mais c’est exactement pour les mêmes raisons qu’il y a aussi eu pas mal de gens qui ont attaqué la série dans la mesure où cela ne donnerait pas envie aux jeunes (et surtout aux jeunes femmes) de s’intéresser aux sciences (cette vidéo le résumé très bien)

La série traite aussi – même si c’est en filigranes – de la thématique du financement de la recherche : Bernadette doit travailler (comme serveuse) pour financer son parcours, ou encore Amy se « fiance » avec un prince saoudien pour financer son laboratoire. On retrouve aussi la question des publications scientifiques, l’importance des prix prestigieux dans la carrière, la difficulté de dissocier vie privée et travail, et encore plein d’autres thématiques que je ne cite pas ici parce que vous avez commencé la lecture de cet article en 1997 et qu’il est grand temps de s’arrêter.

 

Mais comme je ne suis pas non plus à 100% une ingrate, je vous laisse avec un bonus ! Des gens bien intentionnés se sont amusés à lister les personnages (souvent secondaires) faisant une thèse dans les films : cliquez ici pour avoir la liste !

On m’a aussi soufflé dans l’oreillette plein de noms de docteur·es et académiques de fiction : Chidi dans The Good Place, un prof d’études religieuses dans The Path, un prof d’histoire et civilisation dans American Housewife, le Dr Reid dans Criminal Minds, l’équipage du Discovery dans Star Trek Discovery, le Dr. Spock, Milo Thatch dans Atlantide, l’Empire perdu, Daniel Jackson et Rodney McKay dans Stargate, Robert Langdon du Da Vinci Code (entre autres), ou encore Indiana Jones dans Indiana Jones. Et vous, vous en avez d’autres dans votre chapeau? 

Doctorat et fiction : regards croisés
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2 avis sur « Doctorat et fiction : regards croisés »

  • 27 octobre 2019 à 16 h 31 min
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    Il y a aussi “Un heureux évènement” où l’héroïne tombe enceinte pendant la rédaction de sa thèse de philo. Intéressant comment cela peut bouleverser le travail doctoral et rendre difficile les relations avec le directeur de thèse …

    Répondre
  • 2 novembre 2019 à 0 h 12 min
    Permalien

    Malheureusement, on ressent fort que tu n’as pas accroché à BBT et que tu n’as pas regardé la série. D’ailleurs, tu ne l’as pas tout à fait comprise non plus. Penny n’est pas une écervelée, loin de là, bien qu’on lui ait demandé de faire les yeux de biche dans les premiers épisodes de la série. Elle manque de concentration pour étudier les savoirs abstraits qui ne présentent aucune utilité dans le quotidien (elle étudie à merveille quand elle devient une sales exécutive pour la compagnie pharmaceutique où travaille Bernadette) et elle n’a pas l’érudition de ses amis. Cela fait naître en elle un sérieux complexe d’infériorité (elle pense à répétition qu’elle n’est pas assez intelligente pour Leonard et qu’il finira par s’ennuyer d’elle – alors qu’à l’opposé, il pense qu’il n’est pas assez beau pour elle). Néanmoins, Penny a une intelligence émotionnelle et pratique qui échappe à la plupart des autres personnages de la série, notamment Sheldon. Les interactions entre elle et ce dernier sont toujours les plus intéressantes, à mon avis.

    Bernadette a également un air de sotte quand elle apparaît au début, parce qu’elle est très premier degré et ne comprend pas trop les blagues potaches d’Howard. Mais son personnage évolue très bien. De même pour le personnage d’Amy, qui commence très (trop) coincée et complexée, mais finit par se détendre, surtout au contact de Penny.

    Bon… je ne vais pas écrire un essai, mais je t’invite à regarder la série intégralement (en VO, par pitié) et ne pas y entrer avec trop préjugés malgré les caricatures qui te sont dépeintes dans la première saison. Celles-ci sont progressivement dégrossies et présentent une évolution très intéressante et amusante des personnages. Pour avoir aussi adoré Friends, je pense qu’on peut passer beaucoup de bons moments avec Big Bang Theory.

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