Mais dis-donc, on serait pas le premier lundi du mois ? Comme tu le sais puisque tu me lis régulièrement (non ?), une fois par mois, What-Sup revient sur une discipline en particulier afin de comprendre ce que signifie concrètement faire une thèse – en Histoire, en philosophie, en climatologie, en romanes, etc. Mieux se comprendre pour mieux se connaître : la résolution de What-Sup pour 2019 ! Le mois dernier, je restais en terrain connu et m’intéressais aux thèses en Histoire. Et comme j’ai fait de l’Histoire du droit et que j’ai pas envie de me casser le bonnet, ce mois-ci, direction les thèses de juristes !

En fait c’est un peu à cause d’eux que j’ai eu cette idée de faire des billets thématiques. Il se fait que j’ai effectué une partie de ma thèse dans une université essentiellement peuplée de juristes. Tu sais ces gens qui sont toujours tirés à quatre épingles, qui parlent en locutions latines, qui te corrigent (à raison) sur l’usage du verbe « stipuler », et qui courent partout le code civil à la main. En fait, j’ai réalisé que je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire concrètement, faire une thèse en droit, c’est-à-dire avec des textes qui sont susceptibles d’être modifiés et discutés. En Histoire, c’est « simple » (façon de parler, ohé !), on établit un corpus de textes qui, a priori, évolue peu. Ce que je veux dire par là, c’est que par exemple, en ouvrant un journal le matin, j’avais peu de chance de voir un titre du style : « BREAKING : Charlemagne annonce qu’il modifie sa position sur la pénalisation de l’inceste. Le peuple descend dans la rue et scande ‘ALCUIN DEMISSION’ ». Alors que quand tu travailles sur le droit du patrimoine culturel – par exemple – et que des débats secouent la Belgique autour de la question de la décolonisation de l’art, tu es franchement bien parti.e pour être au super taquet et ne pas partir en mode « ermitage-don’t-disturb ».

Juristes en action

La première chose à savoir sur les juristes, c’est qu’ils et elles réfléchissent beaucoup (déjà, comme ça, de base) et réfléchissent aussi beaucoup à la fonction du droit, à l’enseignement, à la formation des juristes, à la connaissance du droit et à la connaissance de la connaissance du droit #truestory. Articles, conférences, monographies, projets de recherche : il existe une production considérable sur la question de l’enseignement, l’épistémologie, et de la méthodologie à appliquer quand on étudie le droit et quand on l’enseigne. Du coup, ce qui est bien, c’est que, une fois n’est pas coutume, je n’ai embêté personne avec mes questions intempestives : je sais bien que tous les juristes de mon entourage sont soit en train de corriger des copies, soit en train de rédiger leur thèse, soit en train d’envoyer des méchants en prison. Donc grâce à la production scientifique importante autour de la production juridique, j’ai pu faire ce billet toute seule, comme une grande. Je vais t’avouer tout directement : j’ai pas tout pigé, mais allez, j’ai essayé.

Une thèse en droit est une analyse, une réflexion juridique permettant de (biffez la mention inutile) : mieux connaître une institution juridique ou judiciaire, comparer les législations de différents espaces, saisir de façon approfondie un concept (généralement en latin), théoriser des mécanismes pratiques ou institutionnels, repérer et critiquer les anomalies du droit, ou encore analyser des éléments de doctrine. J’en passe et des meilleures parce que, comme souvent, il y a autant de possibilités d’études juridiques que de juristes.
Je me suis donc amusée (chacun son fun) à partir à la pêche de sujets de thèses pour mieux comprendre sur quoi peuvent porter les recherches en sciences juridiques. Et crois moi bien qu’entre concision et complexité, droit pénal et droit civil, droit comparé et droit international, théorie du droit et droit de la théorie, y a de quoi faire ! Voici mon top 5 de titres qui m’ont fait sourire ou/et qui m’ont intrigués ou/et qui m’ont fait peur ou/et que j’ai pas compris ou/et qui m’ont inspiré des hashtags rigolos :

CINQUO – La pénurie d’organes : quel rôle pour le droit ? (thèse soutenue à l’ULB en 2010) #droitaubut #droitdel’organe #organedudroit

QUATRE Contrôle intra normatif et contrôle ultra normatif de constitutionnalité : contribution à l’identification des sous-catégories du modèle kelsénien de justice constitutionnelle à partir des systèmes belge et béninois (thèse soutenue à l’UCLouvain en 2012) #droitcomparé #Kelsen #normatif

THREE – Du principe ne bis in idem à l’esquisse d’une théorie du droit international pénal (thèse soutenue à l’USL-B en 2011) #latin #théorie #plutôtdeuxfoisqu’une #ahnonjustement

DOS – Agir et parler sous la République romaine. Anthropologie juridique des formes de la procédure et son application à la question de l’histoire du contrat civil dans le droit privé à l’époque archaïque (thèse soutenue à l’USL-B en 2007) #histoiredudroit #droitromain #latinbis

NOUMERO OUNO – L’injonction de payer (thèse soutenue à l’ULiège en 2016) #toutsimplement #simplemaisefficace #thèseenhashtags : #injonction #payer #bim 

Une thèse en droit – enfin pardon en sciences juridiques – reste toutefois irrémédiablement marquée par une méthode. Et comme on est généralement mieux servi par les gens qui ont étudié ça toute leur vie que par soi-même, je ne peux pas ici faire l’impasse sur cette explication de François Ost, philosophe du droit (USL-B) :

« Dans chaque cas [de recherche en droit], il s’agira : 1. d’identifier le système dominant d’idées dans un domaine (définir les contours du paradigme) ; 2. de repérer les éventuelles « anomalies » qui pourraient montrer les limites du caractère explicatif du paradigme, voire l’infirmer ; 3. d’identifier les éventuelles réactions de la doctrine (des juges, des législateurs, …)  face à ses anomalies et, les évaluer ; 4. de prendre position sur l’aptitude du paradigme à résister à cette mise en question ou sur la nécessité de lui substituer un cadre théorique plus englobant ou plus explicatif » (voir infra pour la référence).

Dans cet article, en plus de proposer une réflexion sur le phénomène doctoral dans son ensemble, François Ost met en évidence le cœur de la recherche juridique : l’importance de la connaissance du cadre théorique des systèmes juridiques, la réception de ceux-ci, l’interprétation et l’analyse.

En outre, je parlais le mois dernier des petites gue-guerres entre historiens et de leur sale manie tendance à trouver les autres périodes nulles. Chez les juristes, c’est tout pareil. Pénalistes, privatistes, fiscalistes, théoriciens du droit, chacun sa came, si-j’-puis-dire, et surtout, chacun sa méthode. Comme en Histoire, de la spécialité de chaque juriste va découler une interprétation, une analyse et une série de conclusions singulières. De plus, toutes ces disciplines ne sont pas « porteuses » de la même façon. Je m’explique : un.e pénaliste aura davantage de possibilité de produire un travail qui permettra de faire bouger les lignes du monde judiciaire, en concentrant ses travaux sur des aspects susceptibles de résoudre certaines affaires, par exemple. Ou un.e constitutionnaliste (qui a du boulot en suffisance en Belgique), de faire trembler le monde politique. Ou une brochette d’experts de proposer une loi spéciale à l’égard du changement climatique. En d’autres mots, si convaincre le pouvoir judiciaire, législatif, voire exécutif n’est pas ouvert à tout le monde, chacun apporte une pierre plus ou moins grosse à l’édifice juridique.

Quel que soit le degré d’applicabilité des recherches juridiques dans la société contemporaine, on peut soulever une constante : l’importance connue et reconnue par toutes et tous – et verbalisée par François Ost – de la réflexivité critique à l’égard des mots et du langage de manière générale. Les juristes ont en effet l’art de choisir le mot juste, celui qui souffrira sans doute le moins d’interprétations douteuses et qui ne joue d’aucun contre-sens. Assiste une fois à un Conseil de l’Enseignement présidé par un juriste qui doit revoir le règlement des études et tu verras bien ce que je veux dire #clind’œil.

 

En bref comme certaines recherches en sciences politiques, en économie ou parfois même en Histoire contemporaine, les thèses de juristes permettent donc, en plus de faire avancer les connaissances, de fournir aux politiques et aux autorités des clés de compréhension, et éventuellement de faire pencher la balance sur certains phénomènes.

Et les juristes, faire pencher la balance, ça, ils aiment bien.

Pour en savoir plus (liste forcément non-exhaustive) : 

Boris BARRAUD (dir.), La recherche juridique. Sciences et pensées du droit, L’Harmattan,  Paris, 2016.

Simone DREYFUS, La thèse et le mémoire de doctorat en droit, Armand Colin, Paris, 1971.

François OST, “La thèse de doctorat en droit : du projet à la soutenance”, Annales de Droit de Louvain : revue trimestrielle, Vol. 1-2, 2006, no.66, pp. 5-23.

 

Faire une thèse … en Droit
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