De deux choses l’une : mon objectif avec ce billet est tout d’abord de te mettre en tête l’air de « siffler en travaillant, lalalala », puis de discuter calmement de ce qu’endure une quantité non-négligeable de doctorant.e.s : le fait de devoir assumer un job tout en travaillant sur une thèse de doctorat. Charges d’enseignement (supérieur ou secondaire), emploi dans un musée, dans une bibliothèque ou encore dans l’Horeca, il n’est pas rare que les doctorant.e.s mènent une double vie. Retour sur ces véritables Clark Kent des temps modernes.

Sur ce blog, je parle souvent des financements doctoraux, et je mentionne généralement les plus connus en Belgique francophone : les mandats octroyés par le FRS-FNRS. Ce qui est généralement mis en exergue par les mandataires, c’est le confort d’un tel financement : des bourses attractives, des conditions matérielles idéales, attributions de frais de fonctionnement, remboursements aisés et pin’s gratuits. Bref, le rêve. Mais tout le monde n’est pas aussi bien financé dans le cadre de sa thèse, et tout le monde n’est même carrément pas financé du tout, en fait. Mais bon, vivre de science et d’eau fraiche, c’est bien joli, mais qu’on se le dise, ça n’paye ni le loyer, ni le Picard quotidien hebdomadaire. Dans le cas où la thèse n’est pas, ou plus, financée, la solution est souvent de travailler en parallèle de la thèse.

 Théser en travaillant – Travailler en thésant

Comme précédemment, et parce que je commence à adorer jouer l’apprentie journaliste du dimanche, j’ai demandé à des personnes qui ont entrepris une thèse en travaillant, ou vice versa, de me raconter leur histoire. En langage doctoral technique, on appelle ça « faire une thèse sur fonds propres ». C’est une façon polie de dire que tu vas travailler plus pour gagner moins. J’ai donc commencé par interroger mon miroir parce que, comme tu le sais, j’ai terminé ma thèse grâce à un poste d’assistante à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Ces conditions restent confortables parce qu’elles permettent d’évoluer dans un milieu où « faire une thèse » n’est pas quelque chose de tout à fait incongru et où il y a une claire conscience de ce que ça implique. Mais comme y a pas que moi sur terre, j’ai aussi voulu varier les expériences et j’ai été sonner à une multitude de portes qui m’ont toutes gentiment été ouvertes ! J’ai ainsi interrogé Julien, 30 ans, enseignant dans le secondaire le jour, doctorant en histoire médiévale (ULB) la nuit, et assistant en Histoire entre les deux. J’ai également interrogé Stéphanie, 30 ans aussi (ok sorry j’ai pas fait dans la diversité des âges), doctorante en langues et littérature romanes à l’ULB aussi (ni des universités), qui est également collaboratrice communication au Théâtre Royal de la Monnaie, en 4/5ème pour pouvoir se consacrer davantage à sa thèse. Sur le temps libre de son temps libre, Stéphanie suit aussi un Master en Études de Genre (rien que ça). Et pour varier un peu, j’ai aussi interrogé Gilles, 38 ans, Conservateur de la section d’Histoire régionale du Musée royal de Mariemont le jour et doctorant en Histoire à l’USL-B la nuit. Les deux premiers, contrairement à Gilles et moi, travaillaient avant de commencer leur thèse et se sont lancés dans l’aventure en raison de l’envie de mener une recherche scientifique et pour diversifier leur parcours professionnel. Tout autant mû par la passion, Gilles se doit quant à lui de terminer et de soutenir une thèse de doctorat dans le cadre de sa fonction puisque le titre de docteur est une obligation légale. L’expérience de Gilles est en effet un peu différente puisque les allers-retours entre thèse et job ont été nombreux. En effet, après un premier emploi à Mariemont, il a bénéficié d’un financement (FSR), durant lequel il a postulé à la fonction qu’il occupe actuellement et pour laquelle le titre de docteur est indispensable. Il a donc connu les deux situations : le confort (tout relatif) de la bourse doctorale et l’inconfort du combo job/thèse.
Moi, c’était aussi un peu différent, il fallait juste que je termine ma thèse, qu’elle soit bien loin derrière moi, et j’avais besoin qu’on me permette de me nourrir pendant ce temps-là.

Quid?

Des profils différents, des aspirations et des objectifs distincts, et pourtant des constantes : l’opportunité que représente la thèse, l’amour de la recherche, la recherche de l’amour, et l’expérience engrangée. Faire une thèse permet non seulement de continuer la recherche mais aussi de s’ouvrir le champ des possibles professionnellement parlant. Pas forcément parce que le doctorat ouvre tout un tas de portes et de fenêtres dans le monde du travail (ça se saurait), mais parce qu’il permet de développer des compétences transférables et transversales. Il s’agit donc de pouvoir se donner une chance supplémentaire d’apprendre et de se faire plaisir en ayant le luxe d’éviter de se poser la question fatidique : « mais qu’est-ce que je vais faire une fois mon financement fini ? » (et de s’entendre répondre « Beeen finir ta thèse au chômage, tiens! » – bonne ambi). Au-delà de ça, pour Stéphanie, le fait de ne pas dépendre d’un financement lui permet de se sentir plus libre et d’avoir moins de comptes à rendre, ce qui permet d’enlever une certaine pression. A l’heure où le doctorat peine à se faire reconnaître comme une période d’expérience professionnelle dans certains milieux, pouvoir se prévaloir du titre ET d’une expérience conséquente est clairement un plus.

L’idéal, quand thèse et travail se conjuguent, c’est que l’un nourrisse l’autre. C’est le cas pour Julien : pour lui, les choses sont claires, il est enseignant avant d’être doctorant et la réalisation d’une thèse apporte une véritable plus-value dans le cadre de sa profession, et vice-versa. Son métier lui permet de développer un sens affuté de la vulgarisation, quand, parallèlement, son activité de doctorant lui apporte une forme de crédit auprès de ses élèves, et lui permet par la même occasion de nourrir les discussions avec ceux-ci. Pour Stéphanie, la logique est un peu différente et est davantage relative à un bien-être général, un sentiment d’accomplissement personnel par une volonté de contribuer à la science à son échelle et d’avoir une vue plus claire de son projet de vie. La réalisation de la thèse lui permet de penser différemment son implication au travail et de définir de façon plus adéquate ses objectifs. Enfin, pour Gilles, il est évident qu’être au quotidien dans un établissement scientifique est un avantage considérable : renommée de l’institution, accès à une bibliothèque fournie, aux collections du musée, cela permet de mener à bien ses obligations professionnelles tout en étant en contact constant avec son matériau de recherche. Le-vois-tu-comme-c’est-bioutifeule

Quant à moi, j’ai terminé ma thèse en la finançant grâce à un poste d’assistante à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, et le fait que je sois doctorante a été déterminant dans mon engagement (en plus de mes talents innés, de ma prestance naturelle, et surtout de mon humilité). J’ai donc été intégrée dans une équipe et ai pu y poursuivre mes recherches dans un cadre particulièrement stimulant qui a clairement été salutaire pour me permettre de terminer ma thèse. J’étais en charge d’un séminaire et ai été assistante pour divers cours en facultés de Droit et de Philo & Lettres, et en un mot comme en cent, c’était à la fois chronophage et passionnant (ok ça fait 2 mots, sorry not sorry). J’ai adoré préparer mes cours, les donner, gérer les étudiant.e.s, même celles et ceux qui m’agaçaient (et y en a eu 2 ou 3) et tu vas peut-être pas me croire, mais j’ai même adoré la période des examens : interroger pendant 3 semaines non-stop et corriger les copies, franchement j’ai kiffé. Comme je l’ai indiqué dans mes remerciements de thèse : « mes étudiants, s’ils m’ont parfois fait lever les yeux aux ciel, m’ont permis de garder les pieds sur terre ». Et presque 2 ans plus tard, je suis toujours d’accord avec moi-même : parce qu’il est essentiel de relativiser l’importance de la thèse, tout ce qui permet de sortir le nez du guidon est bon à prendre. En réalité avoir « autre chose à faire » me permettait de consacrer des plages horaires précises à mon travail doctoral, pas toujours pour mon plus grand bonheur, mais au moins, je le faisais. 

Le cœur du sujet de l’articulation travail/thèse apparaît donc clairement : le temps. De ce point de vue-là, le constat est sans surprise : travailler réduit considérablement le temps (et l’énergie !) qu’il est possible de consacrer à la recherche. C’est mathématique. Et pourtant crois-moi bien que les maths, c’est pas mon truc. Le problème, c’est non seulement que tu as moins de temps pour faire de la recherche pure et dure, aller en bibliothèque, lire des articles, rédiger ou tout simplement réfléchir (et ça, crois-moi, ça prend du temps !). L’autre problème c’est aussi l’implication dans les diverses activités inhérentes à la recherche : participation à des colloques, aux réunions des centres de recherche, à des événements spécifiques. La recherche, si elle se réalise souvent seul.e, s’inscrit tout de même dans une dynamique plus large qui permet d’ouvrir ses écoutilles et d’affuter son sens critique en confrontant sa recherche à l’extérieur de sa bulle. Il est donc indispensable de s’aménager des plages de travail et de s’autoriser à participer à certaines manifestations scientifiques. En effet, c’est quelque chose que Gilles souligne également : la réalisation d’un doctorat, en raison des activités qui y sont liées, permet de développer un réseau, une sorte de “carnet d’adresses” qui peut se combiner entre secteur académique et professionnel. 

Ainsi, la réalisation d’une thèse en ayant un “vrai boulot” (+ guillemets x10000) permet de développer encore davantage de compétences et de voir leur utilité immédiate dans le cadre de sa pratique professionnelle. Il faut néanmoins bien réaliser que la combinaison des deux relève parfois de l’exploit sportif parce que, comme l’a soulevé Gilles (que je remercie pour cette expression que j’ai bien l’intention de réutiliser à l’envi) : “Même si Vishnou a plusieurs bras, il n’a jamais qu’une seule tête”

Faire une thèse … en travaillant
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3 avis sur « Faire une thèse … en travaillant »

  • 26 septembre 2019 à 19 h 59 min
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    Je commence mon doctorat cette année et 0 financements en vue comme j’ai finis mon mémoire en deuxième session… résultat il me faut un petit financement en parallèle (merci aux parents de soutenir encore un an mais après c’est la débrouille)… cet article me rassure car je stresse un peu vis à vis de mon service civique de 24h/semaine à côté… j’espère avoir le temps et l’énergie !

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    • 1 octobre 2019 à 9 h 42 min
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      Courage !! 🙂 généralement les DR ont une vue assez claire des possibilités de financements, n’hésitez pas à leur demander (mais à vous renseigner de votre côté en parallèle !)

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  • 22 juillet 2020 à 9 h 24 min
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    Article très plaisant à lire !
    J’envisage très sérieusement de me lancer dans l’aventure et pourtant je bosse à temps plein.
    Mais la soif d’apprendre et l’envie d’entreprendre sont plus forte.
    A bientôt 32 ans (j’ai pourtant arrêté de compter à 27 je comprends pas pk ça augmente),
    je trouvais ça risqué mais vu qu’on ne vit qu’une fois* (à démontrer, tient une idée de thèse…).
    Bref merci !

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