« Je vous présente ma thèse, 5 ans et demi de gestation, elle mesure 469 pages et pèse 1674 notes en bas de page. La maman est fatiguée mais va bien ». Voilà le passage quasiment obligé en termes de publication sur les réseaux sociaux quand une thèse est terminée. C’est bien simple, on adore comparer les thèses à des bébés : le processus de création est long, fatiguant tant moralement que physiquement, il provoque des sévères sautes d’humeur, mais c’est une telle délivrance quand le produit final arrive. La légère différence, c’est que, une fois la thèse soutenue, tu peux la mettre dans un placard et oublier son existence. C’est plus délicat avec un vrai bébé. What-Sup revient cette semaine sur le combo « thèse-bébé » : vraie ou fausse bonne idée ? Spoiler : ceci est une question rhétorique.

La fierté d’Amandine, jeune docteure en Histoire qui nous présente son béb… sa thèse, pardon.

Pour une fois, je vais parler d’un sujet ici que je ne connais, mais alors pas du tout, parce que 1) je n’ai pas fait de bébé pendant ma thèse, et 2) je n’ai pas fait de bébé. Du coup j’ai fait ce que toute bonne enquêtrice aurait fait : j’ai fait des recherches sur le sujet et j’ai interrogé des gens bien plus calés que moi dans le domaine: des parents qui ont mis leur thèse… entre parenthèses (ha !) le temps de faire un bébé (et puis accessoirement de l’élever). En d’autres mots, What-Sup Investigation is ON !

La question de cette articulation entre parentalité et travail doctoral n’est pas anecdotique, et ce pour pour une raison toute simple : la thèse intervient généralement à un âge où l’horloge biologique se met en branle, où les aiguilles se déchainent et où tu commences donc à subtilement t’arrêter devant la vitrine de chez Petit Bateau, « juste pour voir ». Et comme souvent quand il s’agit de parentalité, la question a largement été posée au féminin. Rythme, implication, réalités légales : le vécu d’un père et d’une mère en thèse ne sont pas les mêmes. Au sujet de ces questions, j’ai eu l’occasion la chance d’interroger Marie-Sophie, doctorante en Droit du patrimoine culturel à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et l’ENS Paris-Saclay, qui va déposer sa thèse dans les semaines à venir (#yougogirl) et qui est la maman d’une petite fille de 6 mois. Et pour les raisons invoquées ci-dessus, j’ai également interrogé Guillaume, docteur en Sciences agronomiques et ingénierie biologique (UCLouvain), papa de deux filles « made in PhD ».

La question centrale qui sous-tend la thématique d’une construction conjointe d’une thèse de doctorat et d’un être humain miniature est celle de la place de la thèse (cette phrase était alambiquée pour rien, mais mon blog, mes choix okay). Alors que la gestion du temps est un élément absolument central dans la réalisation d’une thèse , il va sans dire qu’il est nécessaire de trouver sa juste place à la thèse pour qu’elle ne soit ni totalement mise de côté, ni qu’elle traine dans les pattes de façon constante quand baby entre dans la place (voir gif ci-dessus). Il faut donc avant tout accepter que tout soit plus lent, parce que, c’est mathématique, un bébé, ça prend du temps, et c’est tant mieux !

Pour Guillaume, l’arrivée de ses enfants a même été salutaire. Dans la recherche, c’est-à-dire un monde où les heures ne se comptent pas et où le rythme peut rapidement devenir effréné, avoir un enfant permet parfois de lever le pied et de s’imposer un rythme plus humain, pour justement s’occuper de son petit humain. Néanmoins, l’un des pendants négatifs de tout ça est l’une des craintes évoquées par Marie-Sophie, à savoir l’idée de revenir en étant hors du coup, en ayant loupé quelque chose, tant dans la recherche, que dans l’équipe ou à l’unif. Il faut donc trouver l’équilibre pour pouvoir véritablement profiter de ce « congé », revenir reposé.e et ne pas se laisser gagner par le stress du temps « perdu » dans la recherche. Marie-Sophie – qui, en tant que maman, a bénéficié d’un arrêt de plusieurs mois – évoque aussi cette période « off » avec l’expression « cerveau rouillé » que j’aime beaucoup, déjà parce que depuis, j’essaye d’imaginer à quoi ressemblerait un cerveau rouillé, et que je trouve que ça représente assez bien le sentiment que tout.e doctorant.e a quand on arrête de travailler sur sa thèse pendant une période de temps plus ou moins longue.

Dans divers articles que j’ai trouvés en ligne, certains (surtout certaines futures maman) évoquent le regard des autres, l’étonnement et le scepticisme, comme si parentalité et doctorat étaient incompatibles. C’est souvent assez lié au sentiment de culpabilité qui nait envers le directeur ou la directrice de thèse mais aussi envers l’enfant. Ce n’est pas du tout un élément qui a été soulevé par Marie-Sophie, qui a une expérience très positive de la parentalité en thèse. Cela est dû à un entourage très encourageant, mais aussi – et c’est très loin d’être négligeable ! – aux conditions offertes dans le cadre de son financement, à savoir un mandat d’aspirante FRS-FNRS (bourse de 4 ans). En effet, il faut savoir que, comme dans n’importe quel boulot bien constitué, les parents ont droit à des congés. Dans le cadre des financements doctoraux, ces congés sont synonymes de prolongation. Par exemple, les différents règlements des mandats FNRS précisent que l’exécution de ceux-ci peut être suspendue pour cause de congé de maternité, de paternité ou d’adoption pour une durée égale à celle de cette suspension. Cela n’a pas toujours été le cas : en effet, il y a encore quelques années, seuls le congé maternité et le service militaire permettaient de suspendre l’exécution d’un mandat de recherche au FNRS.

Les conditions doctorales restent souvent un incitant pour lancer le projet « bébé » dans un couple parce qu’elles offrent une flexibilité particulièrement alléchante. En effet, pas besoin de prendre congé si la crèche appelle pour te dire que le Perdolan que tu as donné à ton enfant le matin en pensant être tranquille ne fait plus effet et qu’il faut venir le chercher, ou de te stresser parce que tu es coincé.e dans les embout’ et que tu vas être en retard au boulot. C’est soulevé à la fois par Marie-Sophie et Guillaume : la flexibilité des horaires est un véritable « plus ». Guillaume affirme même que cet aspect de ton travail de chercheur lui a permis et lui permet toujours de mieux assumer le rôle de parent. Et ça c’est beau, franchement ! En d’autres mots, un bébé ça prend du temps mais l’avantage de la thèse est qu’il est possible de prendre le temps #poésie.

Disclaimer : c’est pas une raison pour toujours laisser celui ou celle qui est en thèse aller chercher baby à la crèche, hein ! Ho ! Bon.

 Si on compare souvent la thèse à un bébé, c’est qu’elle capte toute notre attention. On dort thèse, on se lève thèse, on mange thèse, s’habille thèse.  Tu vois le tableau. Quand un bébé arrive dans l’équation, le rapport s’inverse. L’enfant devient la priorité et le monde s’articule autour de celle petite chose velue et pleine de petits-doigts-trop-mignons-que-tu-as-envie-de-manger. Ainsi, le temps s’organise différemment et dépend beaucoup de la façon dont bébé fait ses nuits, mange, fait caca etc, bref des bonnes préoccupations de parents qui conditionnent assez clairement le travail doctoral. Pour Marie-Sophie, cela a clairement joué un rôle essentiel : il est plus aisé de travailler quelques heures le matin quand bébé fait des nuits longues comme le bras (#chance) que quand le nombre de réveils par nuit équivaut au nombre de livres qui te restent à lire pour la thèse (beaucoup, donc). Mais ça, impossible d’anticiper parce qu’il semblerait qu’il ne soit pas encore possible de fabriquer expressément les bébés avec les options “pleure peu – dort beaucoup”.

Par ailleurs, l’un des points que j’avais totalement sous-estimé est la propension des parents à attraper toutes les maladies de leur progéniture. En effet, retomber malade régulièrement fait véritablement partie de l’expérience « bébé » et doit être tenu en compte : construire un emploi du temps très stricte en imaginant qu’une fois que bébé sera à la crèche, tu seras du nouveau full-time, day and night sur la thèse est un véritable mythe. « Petit bébé, petit microbe », rien n’aura jamais été aussi faux (c’est sur le même niveau que quand tu coches : « j’ai lu les conditions générales » : c’est si faux).

 

Une chose est néanmoins sûre sur le sujet d’un bébé pendant la thèse : j’avais tout faux (décidément). J’avais tout faux, déjà parce que je ne sais pas ce que c’est, et que j’avais une masse d’idées préconçues : réactions négatives de la part des directeurs de thèse, temps très limité pour travailler sur la thèse, impossibilité de s’y remettre après un long congé, vomi sur les doigts (bon ça c’est peut-être vrai ?). En cherchant à en savoir plus, j’en ai su plus sur la stabilité et la structure que l’arrivée d’un bébé peut induire, sur le luxe de pouvoir avoir des horaires aménageables, sur la force et la sérénité que l’arrivée de ces petites choses velues-mais-si-craquantes peuvent apporter. Mais j’ai aussi appris une autre chose : faire un bébé pendant la thèse n’est pas quelque chose de tellement difficile. La partie difficile, c’est la carrière scientifique, c’est se poser mille questions sur le lieu potentiel du post-doc, sur les conditions de celui-ci, sur les envies de l’autre (qu’il ou elle soit dans le monde académique ou non), sur le manque criant de stabilité, et le vomi sur les doigts.

Retrouve le volet II du billet par ici !

Faire une thèse … et un bébé
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Un avis sur « Faire une thèse … et un bébé »

  • 21 janvier 2019 à 19 h 59 min
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    Génial !! Tu as tout si bien capté, j’adore! Merci !!

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