Sur What-Sup, le doctorat est au cœur de tout : de la réflexion, de la blague, du gif, de l’expérience et du contenu. À l’origine du blog, j’avais besoin de me décharger et de parler de mon parcours, de faire de mon doctorat un véritable sujet de conversation et d’échanges. Depuis, le doctorat est devenu mon métier, ce qui m’offre un point de vue différent sur le parcours, et me permet d’affiner mes connaissances sur le sujet, de les professionnaliser. En effet, depuis plusieurs années, le doctorat (et ce qui l’entoure) devient un objet d’attention, un sujet d’études, de recherche, et un enjeu stratégique. Pour cet article, comme le titre pouvait le laisser deviner, je reviens donc sur le doctorat comme métier et comme objet professionnel.

Comme vous pouvez le constater, je pars ici sur un format un peu plus sérieux que d’habitude, et il parait que les textes sérieux sont traditionnellement composés de 3 parties. Comme j’ai une tendance un peu « première de classe », j’ai donc découpé cet article en 3 parties.

Le doctorat est récemment devenu un enjeu stratégique dans et hors des universités. Dans l’université, parce qu’il permet le développement d’une recherche de pointe et – le plus souvent – de qualité. Les docteur·es devant généralement (de façon contrainte ou non) quitter l’université pour poursuivre leur carrière, le doctorat et sa valorisation deviennent donc des enjeux économiques et sociaux qui dépassent le cadre de l’académique (1). Pour mieux penser le doctorat, il faut l’étudier, je reviendrai donc ensuite sur les recherches menées autour du doctorat, en me concentrant naturellement sur mon biotope naturel, la Belgique francophone (2). Dans un troisième et dernier temps je reviendrai sur ce qu’on fait concrètement, quand notre métier, c’est le doctorat. On parlera un peu de ma vie, mon œuvre, mais pas que parce que je ne suis encore qu’un bébé dans le monde des professionnel·es du doctorat (3).

Le doctorat comme enjeu stratégique

On a connu ces dernières années un véritable tournant dans la façon de considérer le doctorat. Cela est notamment dû à l’impressionnante augmentation du nombre de doctorant·es dans le monde et dans tous les domaines. Les incidences sont nombreuses : il faut pouvoir gérer le parcours au sein des universités de tous ces étudiant·es-chercheur·es, dont le statut hybride est propice à une gestion compliquée, mais il faut aussi s’assurer de la bonne insertion de ces docteur·es dans le monde professionnel. En effet, l’augmentation du nombre de diplômés de ce qu’on appelle ici « le troisième cycle » ne s’est pas accompagnée d’une augmentation du nombre de postes disponibles dans les universités. Et s’il y a 30 ou 40 ans, la trajectoire des docteur·es visait généralement l’enseignement supérieur et la recherche, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La place de ces expert·es techniques et théoriques devient donc un véritable enjeu structurel, en même temps que se pose la question de la responsabilité.

L’Université est en effet responsable du bon déroulement du parcours administratif des doctorant·es, tout en arrivant à gérer leurs différents statuts : étudiant·es, chercheur·es, enseignant·es, membres du personnel. Cela signifie que les services compétents dans les universités sont chargés d’admettre et d’inscrire les doctorant·es, de les informer des différents aspects liés à leur statut (boursier/boursières, assistant·es, mandataires, etc.). C’est également l’Université qui organise les aspects logistiques liés aux défenses et soutenances de thèse. Une bonne gestion des programmes et de la qualité des parcours doctoraux au sein des universités est un enjeu essentiel parce qu’il s’agit d’une véritable vitrine à l’échelle nationale et internationale. Les universités étant les seules institutions habilitées à délivrer les diplômes de 3ème cycle, elles ont tout intérêt à veiller à la qualité du diplôme quand leur sceau est apposé sur celui-ci.

Là où le rôle de l’Université fait davantage débat, c’est dans sa responsabilité relative au bien-être durant la thèse, à la relation avec le promoteur ou la promotrice et dans son accompagnement dans l’après-thèse. Le doctorat n’est pas un passeport vers l’emploi et n’a pas vocation à le devenir. Néanmoins, les universités accompagnent leurs diplômé·es dans leur transition professionnelle (career centers, centres d’insertion professionnelle, etc.), et cela concerne donc également les docteur·es. Une bonne connaissance des spécificités des profils apparaît donc comme étant essentielle. De la même façon, avoir une bonne connaissance de ce que traversent les doctorant·es durant leur parcours permet d’optimiser celui-ci pour permettre le développement d’une recherche de qualité, c’est-à-dire une recherche qui est parasitée le moins possible par des tracasseries administratives, des écueils relationnels ou de véritables troubles sanitaires.

Tout cela fait partie des réflexions menées dans les universités et au sein de réseaux destinés à discuter du doctorat : groupes de travail spécialisés (par exemple chez Coimbra), des conseils (comme EUA-CDE ou Eurodoc) ou encore des réseaux regroupant les professionnel·les du doctorat (PRIDE Network par exemple). Ces réseaux permettent de se tenir au courant de l’actualité en lien avec l’éducation doctorale, d’échanger des bonnes pratiques, de confronter les points de vue et, pourquoi pas, de construire des projets communs pour un meilleur monde (doctoral). L’objectif général est de s’assurer d’une constante amélioration de l’éducation doctorale partout dans le monde, et de veiller à faire (re)connaître la valeur du diplôme.

PhD’nception : le doctorat comme recherche

Le plus souvent, les actions menées au sein des universités font suite à des études, enquêtes et recherches. Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux dédiés au doctorat (le compte Facebook du blog par exemple) pour se rendre compte qu’il y a une production assez impressionnante d’articles, de rapports, d’études autour du doctorat. Cela signifie que des chercheur·es et expert·es collectent et analysent des données autour du doctorat : taux d’abandon, employabilité, acquisition de compétences, raisons d’arrêter sa thèse, de persévérer, etc.

En Belgique francophone, plusieurs projets de recherche ou enquêtes autour du doctorat ont déjà vu le jour. Je ne vais pas tous les citer (j’en manquerais certainement et je veux ménager les éventuelles susceptibilités), mais on peut notamment mentionner le projet interuniversitaire (ULB – UCLouvain) ROPE : Research on PhD – Abandon et persévérance au doctorat. L’étude a visé à mieux comprendre l’expérience doctorale en analysant, de façon quantitative et qualitative, les raisons qui incitent à interrompre ou à persévérer dans l’expérience doctorale. Elle a en effet permis d’analyser et d’expliquer pourquoi près de 40% des doctorant·es interrompent leur parcours et quels sont les facteurs liés à cela (genre, statut civil, nationalité, domaine de recherche, type de financement, etc.). Les recherches menées ont également mis en avant l’importance d’une relation équilibrée avec les promoteur·rices, accompagnée de la production de résultats motivants, d’un projet qui a du sens et d’un équilibre émotionnel : cette combinaison de facteurs est la clé pour un parcours doctoral abouti ! Le projet, qui a pris fin en 2018, a ainsi pu poser des bases de réflexions au sein des universités pour améliorer les dispositifs d’accompagnement des doctorant·es.

Plus récemment, l’Observatoire de la Recherche et des Carrières Scientifiques (dont j’ai déjà parlé ici) a mené une série d’enquêtes portant sur le devenir des titulaires de doctorat au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles : où travaillent les docteur·es ? leur travail est-il en adéquation avec leur domaine de recherche ? quelles sont les compétences acquises en doctorat qui sont mobilisées dans le cadre de leur emploi ? Ces données (disponibles ici), en permettant notamment de tordre le cou aux idées reçues, mettent l’accent sur les points d’attention à garder à l’esprit quand on s’intéresse à l’accompagnement des doctorant·es dans et après leur parcours. Je pense notamment (mais pas seulement) à ce qui concerne les compétences : le rapport démontre en effet qu’il y a tout un tas de compétences qui ne sont pas acquises en doctorat mais qui sont utilisées dans la suite du parcours (compétences en business par exemple, ou de collaboration). Sur cette base, les responsables des formations doctorales peuvent décider par exemple de faire évoluer leur offre et de l’adapter.

La recherche autour du doctorat permet donc une meilleure connaissance du vécu doctoral, des réalités diverses en fonction de différents facteurs (domaines, régions, genre, etc.), ce qui permet d’agir sur des bases chiffrées, statistiques et qualitatives.

Le doctorat comme métier

Ainsi, il n’est pas étonnant de constater une réelle professionnalisation autour de l’objet “doctorat” : en bref, la gestion du doctorat (et de son « après ») devient une voie professionnelle. Et ceci est à comprendre au sens large : suivi des procédures et réglementations, suivi financier, renforcement des compétences, modalités pédagogiques, recrutement de docteur·es, etc. Il y a une multitude de moyens de travailler dans le domaine. Comme cela avait déjà été soulevé dans cet article relatifs aux possibilités de carrière après la thèse, l’une des options est de se tourner vers les services administratifs des universités. Ces services peuvent être centraux (par exemple, une administration de la recherche) ou décentralisés (au sein d’une faculté, un laboratoire, un institut, un centre de recherche, d’orientation ou de formation). Les tâches effectuées dépendront avant tout de ce rattachement : suivi administratif, opérationnel, stratégique.

Pour les raisons évoquées ci-dessous, le rôle des professionnel·les du doctorat a donc forcément beaucoup évolué ces dernières années, parce qu’il répond à une évolution du doctorat et de sa valorisation, en tant que parcours et en tant que diplôme. Dans toutes les universités francophones du (plat) pays, il y a ce qu’on appelle une « Madame Doctorat » (c’est vilain comme tout, mais c’est le titre canonique) (mais moi comme je ne sais pas faire comme tout le monde, j’ai décidé que je serais plutôt « Lady PhD »). Les rôles sont différents dans chaque des universités, parce que le doctorat est organisé de façon singulière dans chacune d’entre elles. Tantôt davantage administratifs, tantôt davantage stratégiques, les postes liés à la coordination du doctorat tournent globalement autour des mêmes besoins : s’assurer que le déroulement du parcours doctoral soit conforme aux règlementations en vigueur, veiller au renforcement et à l’acquisition des compétences des doctorant·es, organiser des événements liés au doctorat (par exemple le concours « Ma Thèse en 180 secondes ») et servir de relais vers les services les plus adéquats pour apporter une aide plus pointue.

Il faut enfin noter que le changement relativement récent de considération du doctorat n’a pas nécessairement été accompagné d’une large augmentation des moyens (en tout cas en Belgique francophone) : il n’est donc pas toujours aisé de mettre en pratique toutes les actions imaginées au sein (et en dehors aussi) des universités. Imaginer des nouvelles formations demande du temps, de l’argent et du soutien des autorités, mettre en place des projets innovants pour répondre aux besoins des doctorant·es également.

Et comme j’ai plein de choses à dire sur mon (nouveau) travail de coordinatrice administrative et de valorisation du doctorat, je pense que je vais carrément prévoir un petit article spécial à ce sujet.

 

Article sérieux signifie références sérieuses :

En savoir plus sur les professionnel·les du doctorat : Voir Lucas ZINNER (éd.), Professionals in Doctoral Education, Vienne, 2016

En savoir plus sur le devenir des titulaires de doctorat (BE) : Rapports de l’Observatoire de la Recherche et des Carrières Scientifiques

En savoir plus sur la valorisation du doctorat (BE) : Objectif Recherche

En savoir plus sur le recrutement des docteur·es (FR) : Adoc Talent ManagementOkay Doc  

 

*Disclaimer : ce que je raconte ici (et sur le blog en général) n’engage que moi et non mon employeur, qui est d’ailleurs une employeuse puisque c’est une université*

Travailler dans le domaine du doctorat
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