Elle occupe tes pensées dès le réveil ? Elle t’attend au salon pour accompagner ton petit déjeuner ? Elle t’accompagne dans tous tes déplacements ? Elle te donne parfois envie de te taper la tête contre les murs ? Mais elle te procure aussi beaucoup de plaisir ? Bravo ! Tu vis avec une thèse. Alors bon, vivre avec une thèse, on commence à voir le tableau, mais dans le fond, vivre avec quelqu’un qui est thèse, c’est comment ? De manière générale, que ce soit dans le cadre du couple, de la famille ou des amis, l’entourage joue un rôle essentiel dans la dynamique de la thèse. What-Sup revient donc cette semaine sur l’entourage en distinguant deux catégories : l’entourage « profane » et l’entourage « initié » des doctorant.e.s.
Ma vie, mon œuvre
Comme tu l’avais déjà vu ici ou là, causer de moi j’aime bien ça. Enfin, plutôt causer de mon expérience doctorale. Et en la matière, je suis un peu unstoppable. Sur le sujet de partager sa vie avec quelqu’un qui est en thèse, j’ai aussi pas mal de matos. J’ai en effet eu plusieurs phases majeures dans la vie de ma thèse : une phase de « thèse et célibat », une phase de « thèse et couple avec quelqu’un qui n’y comprend rien et qui s’en fout », puis « thèse et vie commune avec ma môman », et enfin « thèse et couple avec quelqu’un qui fait une thèse». Et crois-moi, chaque expérience est bien différente ! A tout ça, il faut ajouter les amis et la famille, où y a toujours bien quelqu’un : qui s’en fout, qui comprend rien, qui comprend un peu mais qui s’en fout, qui fait semblant de s’intéresser mais qui regarde son téléphone quand tu lui parles, ou encore qui s’intéresse mais qui ne comprend rien. Bref une jolie brochette de possibilités.
L’entourage profane : « Nan mais tu peux pas comprendre »
Avec l’entourage dit « profane », c’est à dire ton entourage qui n’a pas fait de thèse (personne n’est parfait), tu peux franchement user de ta phrase fétiche de doctorant.e. : « naaaaan mais tu peux pas comprendre ! ». Tu sais, la phrase que tu ressors dès que : quelqu’un te donne un conseil sur tes horaires de travail, essaye de te forcer à sortir un samedi soir (et puis quoi encore ?), quand ce même quelqu’un te dit « mais ça va c’est qu’une thèse, relax » ou encore quand on te demande pourquoi diantre tu fais une thèse. Tu peux bien essayer de bafouiller 2-3 banalités, tu finiras quand même bien par dire « naaaaan mais pffff, tu peux pas comprendre ». Ne lève pas les yeux au ciel comme ça, tu le sais, et je le sais que c’est vrai.
La vérité aussi c’est que souvent, l’entourage n’a pas forcément une idée très claire de ce que ça implique de faire une thèse. C’est en tout cas ce que m’a livré Audrey (l’épouse de Gilles, dont j’ai déjà parlé ici) : si elle avait conscience de l’importance que cela avait pour son époux, et que ça allait prendre un peu de temps, elle n’a pas mesuré l’importance que les facteurs extérieurs peuvent avoir sur la thèse, ni le temps véritable que ça prendrait (à savoir beaucoup, beaucoup), ni encore la place que la thèse prend dans le quotidien, à tel point qu’elle représente une véritable épreuve dans le couple. Du coup, quand je lui demande comment elle imagine l’après-thèse, la réponse est sans appel : “soulagement !”.
De manière générale, c’est comme pour plein de boulots : on ne comprend vraiment que si on est dedans. Le monde académique est à certains égards assez difficile à appréhender : ses codes, ses exigences, ses travers et ses merveilles, il faut avouer que c’est particulier. Véritables microcosmes, les universités (et universitaires) donnent parfois l’impression de fonctionner en décalage du monde réel (sic), à la limite du vase clos. Mais dans le fond, tout ce qu’on demande c’est du soutien, de l’écoute et un poil de semblant de compréhension. Du coup, tu expliques un peu comment ça fonctionne, tu montres, tu détailles, tu fais des schémas, des analogies avec d’autres milieux, etc., tu penses que ça commence à rentrer, à être un peu plus clair, et puis là, PAF, le coup dans le dos, le Brutus doctoral : y a ton père, ton frère, ta cousine, ta bff ou ta grand-mère qui te demande « ah et alooooors, comment ça va le mémoire ? ».
Tout ça pour ça.
Par contre, l’avantage d’être en thèse, c’est que ça nourrit les discussions de repas de famille. Un peu comme les célibataires se coltinent le « alors, quand est-ce que tu vas nous ramener un beau jeune homme / une jolie jeune fille ? », les doctorant.e.s se font harponner à coups de « tu finis quand ? », « c’est sur quoi déjà ta thèse ? », « mais ça mène à quoi de faire une thèse ? » ou encore le fameux « il serait temps que tu finisses tes études et que tu trouves un vrai travail ». On peut pas dire que ça met pas un peu de vie au réveillon de Noël ou à l’anniversaire de ton neveu. De quoi on s’plaint franchement.
Enfin, l’entourage profane est généralement mis à contribution dans le cadre de la réalisation de la thèse. Pratique, cette petite main-d’œuvre gratos. Ma petite môman, par exemple, a relu certaines parties de ma thèse, et j’ai totalement sur-exploité ma meilleure amie en lui demandant de se farcir le travail le plus ingrat qu’il soit : relire et corriger ma bibliographie. C’est aussi l’exemple de Quentin, qui a partagé son quotidien avec une doctorante et qui le partage maintenant avec une docteure (pas de panique : c’est la même personne !) et qui a été très utile dans le cadre du sprint final de la rédaction. En effet, Quentin a eu le plaisir l’occasion de corriger les coquilles, les fautes d’orthographes, les erreurs typographiques, de faire de la mise en page, d’ajouter virgules, italiques, gras, moins gras et j’en passe. Ca, c’est pour l’aspect technique, mais Quentin souligne également que l’entourage est également mis fortement à contribution sur le plan moral : le quotidien est tantôt rythmé par les trouvailles géniales durant la thèse (yay !), tantôt par une remarque assassine d’un directeur ou d’une directrice de thèse, par un manque de soutien ou par le doute permanent inhérent au travail doctoral. Et c’est pas ma petite môman qui dirait le contraire ici, elle qui a dû subir mes joies, mes colères, des crises de larmes, mes angoisses, mes doutes, le tout parfois étalé sur 10 minutes.
L’entourage initié : « Non mais c’est pas pareil »
A côté de cet entourage « profane », il existe aussi l’entourage initié. Les docto-collègues, la docto-famille et les docto-conjoints : ceux et celles qui ont fait ou qui font une thèse.
Généralement, les relations entre docto-collègues (en langage technique : les co-bureaux) dépendent un peu du degré de proximité des sujets de recherche. Plus ceux-ci sont proches, plus on se rapproche d’une relation à la Nâdiya : amis-ennemis. Amis, parce que quand même, c’est pas tous les jours que tu rencontres quelqu’un avec qui tu peux parler de la traduction de « bona persona », avec qui tu peux bitcher sur le dernier article de ton directeur de thèse, ou avec qui tu te prends des fous rires devant Ciel mon Doctorat. Et ennemis parce que, on va pas se mentir, bonjour la compèt’ : candidater pour les mêmes postes, les mêmes financements, y a beaucoup de chance pour que ça finisse en combat de boue cette histoire. En somme, d’aucuns diraient qu’il s’agit là d’une forme de coopétition : coopération et compétition entre doctorant.e.s !
Et si « nan mais tu peux pas comprendre » est une phrase ressortie régulièrement avec les proches, avec les collègues doctorant.e.s ou avec son docto-conjoint, là y en a une variante toute faite aussi : « nan mais c’est pas pareil ». C’est vrai quoi, c’est jamais pareil : la relation avec le directeur ou la promotrice, la complexité du sujet, la motivation à finir la thèse, le rythme de lecture ou de rédaction, l’orientation du bureau, la distance de la machine à café ou encore l’importance accordée à la police d’écriture dans le manuscrit final. C’est pas pareil, c’est tout.
Et, finalement, un couple de chercheurs, ça donne quoi ? Si tu imagines un appart rempli de bouquins, des soirées chacun sur son ordi, des conseils à gauche et à droite sur les notes en bas de page, les apéros où on raconte le dernier mail du directeur de thèse, ou de l’étudiant à côté de la plaque, eh bien franchement, tu as… raison. Mon copain et moi, on a eu la bonne idée d’emménager ensemble en fin de thèse puisqu’on a déposé celle-ci environ 7 mois après avoir commencé notre cohabitation. En mode : pourquoi se simplifier la vie quand on pourrait rédiger notre thèse H24 tout en s’habituant à la vie de couple sous un seul et même petit toit ? Spoiler alert : on l’a très bien vécu, on s’est même mariés depuis. J’ai en réalité trouvé que ça avait pas mal d’avantages de partager sa vie avec quelqu’un qui faisait la même chose (littéralement puisqu’on a fait notre thèse dans la même discipline et dans la même université). Même si on a des expériences doctorales radicalement opposées, le fait de vivre avec quelqu’un qui comprend les enjeux et ce que la thèse implique au quotidien m’a beaucoup aidé dans la phase de rédaction.
En effet, quand on est en thèse, en fonction de la phase, il est parfois – souvent – toujours (biffez la mention inutile) nécessaire de travailler les soirs et les week-end. Et quelqu’un qui comprend ça, c’est franchement pas du luxe. Believe me. Du coup, ça fait des chouettes soirées où chacun est plongé dans sa bulle (ou dans des bulles si on en a vraiment trop marre), c’est-à-dire dans ses articles, dans ses bouquins, dans son disque dur externe (ou dans son cloud pour les plus 3.0 d’entre nous) ou encore dans le vide en train de réfléchir à comment-je-fais-finir-cette-phrase. Entre chercheurs, le coup du « t’as qu’à travailler mieux et plus en journée comme ça tu as tes soirées tranquilles », ça ne marche pas du tout.
Dans le fond, il faut vivre avec sa thèse comme on vit avec en couple : il faut s’apprivoiser, apprendre à se laisser de l’espace tout en se prévoyant des soirées en tête à tête, apprendre à mordre sur sa chique et à garder son sang froid. Dans tous les cas, couple, amis, famille, l’important, c’est de se comprendre, ou au moins d’essayer. Ce qu’il faut quand même bien dire, c’est que notre entourage – et surtout les personnes avec qui on passe un temps considéré et considérable – mérite bien une caisse de médailles : la patience, l’écoute, les efforts, il est évident que pour nous, ça veut dire beaucoup.